lundi 11 mai 2020

Antoine Lilti: L'héritage des Lumières





                                                       




L’ouvrage d’Antoine Lilti : « L’héritage des Lumières » , publié par Les Hautes Etudes en sciences sociales avec Gallimard et Le Seuil en 2019, est une étude sur le concept des Lumières et sur ce qu’il en reste dans notre monde contemporain. C’est un ouvrage savant, universitaire qui creuse cette idée des Lumières dans l’histoire.
Les idées des lumières sont nées, chacun le sait, au XVIII° siècle avec les travaux des philosophes : Voltaire, Rousseau, Diderot, D’Alembert, Condorcet et d’autres encore et ces idées ont dominé le monde pendant deux siècles. Il faut cependant préciser que certains ont fait naître ces idées au XVII° siècle dans les Pays bas et dans l’environnement de la pensée de Spinoza. Nées en Europe elles ont été contestées d’abord par un certain nombre de philosophes marxistes avec leur distinction entre les droits formels et les droits réels, les lumières selon eux n’ayant soutenu que les droits formels.
Mais les attaques les plus rudes ont été portées par les études post-coloniales qui ont voulu montrer que les principes des lumières ont été les instruments de la domination coloniale de l’occident et par certaines feministes
Ces attaques sont encore prégnantes dans une partie du monde où certains développent avec succès l’idée que l’Occident et ses valeurs (les idées des Lumières) est devenu décadent, consumériste, matérialiste et jusqu’à » immoral ». On reconnaitra là un des angles d’attaque des islamistes.
Que faut-il penser de tout cela ? Les Lumières sont-elles dépassées ?

Si l’on veut résumer la philosophie des Lumières on peut dire qu’elles ont mis en avant trois grands principes :
-La prédominance de la raison sur la foi. Il faut se souvenir qu’elles sont nées dans une époque où la religion dominait et voulait tout régenter (Monarchie de droit divin, enseignement religieux, volonté dominatrice des religions avec combat entre elles au moment du protestantisme)
-Volonté du progrès que l’on croyait sans fin avec le développement des sciences et des techniques
-Elaboration et développement des droits de l’homme, c’est-à-dire de l’individu par rapport à la famille et à la société.

Les critiques des Lumières nous ont d’abord dit que les droits humains soutenus par les Lumières étaient le plus souvent des droits formels et que dans la réalité, c’est-à-dire dans les droits réels ils n’étaient pas appliqués. Il y a du vrai dans cette critique et l’on sait bien que même de nos jours les droits de l’homme sont toujours à gagner et que c’’est un combat. Mais ce n’est pas parce qu’une philosophie n’est pas appliquée qu’il faut la condamner.
La critique venue des « post coloniaux » est plus importante. Elle consiste à montrer que les Lumières ont été un instrument de domination des Européens sur certaines parties du monde. C’est à travers l’idée de civilisation que certains ont pu à la fois dénigrer certaines cultures et vouloir imposer la leur.
Ces critiques sont cependant contestables pour plusieurs raisons :
-D’abord parce qu’il est faux que les créateurs des Lumières aient été partisans de la colonisation ou de l’’esclavage. L’ouvrage de M. Lilti cite un certain nombre de textes d’auteur du XVIII° siècle et non des moindres qui condamnent avec une force rarement vue la colonisation et ses crimes, l’esclavage et appellent même à la révolte les populations soumises à ces crimes. (p.63-68-74)
-Ensuite parce que les Lumières ont été pour de nombreux acteurs de la décolonisation une arme intellectuel par laquelle ils s’armaient contre l’occupant le renvoyant à sa propre philosophie. Un homme comme Bourguiba combattant de la décolonisation tunisienne utilisait les droits de l’homme et les idées des Lumières pour lutter contre les français et il demeura fidèle à ces idées. Il ne fut pas le seul dans ce cas.
En réalité il me semble que l’on peut reprocher aux « post coloniaux » qui critiquent les Lumières de jeter le bébé avec l’eau du bain !
Est-ce à dire que les idées des Lumières telles que nous les avons résumés plus haut doivent être abandonnées ?  Evidement non car elles conservent une valeur universelle pour peu qu’on veuille bien les nuancer.
Ainsi la prédominance de la raison sur la foi me paraît une nécessité absolue à condition toutefois de respecter le désir de croire qui est très fort chez l’homme. On a d’ailleurs vu, à travers l’expérience désastreuse du communisme que l’interdiction des Eglises et de la religion n’avait jamais réussi à éteindre la foi et le besoin de religion et que dès la fin du communisme les Eglises se sont, à nouveau, développées.
La solution née du régime de laïcité me paraît la bonne solution car elle réunit les deux nécessités : lutter contre la volonté totalitaire des religions et cependant assurer la liberté de la foi.
De même l’idée de progrès et la nécessité de développer les connaissances et les sciences me semblent nécessaires mais il ne faut pas que cette idée de progrès permanent donne aux hommes l’idée qu’ils sont tout puissants et les meilleurs de l’Univers. Le développement des idées écologiques, la pensée selon laquelle après la pandémie de corona virus il fallait revoir notre mode de vie à la baisse, l’idée d’une consommation plus raisonnable et plus durable, la protection de la nature et des animaux sont des idées utiles et qui doivent assagir cette idée de progrès. Nous devons considérer que quel que soit la puissance de la pensée humaine, l’homme n’est qu’un élément de l’ensemble et qu’il ne doit pas accaparer des richesses du monde à son seul profit.

Enfin les droits de l’homme sont de toute évidence à développer et à faire respecter partout car il me semble évident qu’ils correspondent à un désir de tout homme sur la terre : pouvoir penser et s’exprimer librement, pouvoir croire ou ne pas croire, pouvoir aller et venir librement. Et d’ailleurs si les droits de l’homme ne sont pas respectés partout dans le monde (loin de là !) il faut remarquer que même les dictateurs font souvent référence dans leurs Constitution aux droits de l’homme en une sorte d’hommage qui ne les engage pas plus avant !
L’ouvrage se poursuit par l’étude d’une question qui a captivé les intellectuels du XVIII° siècle : Peut-on éduquer le peuple, comment le faire et faut-il des dirigeants qui impulsent les idées de progrès ?
Les écrivains s’adressent-ils a tout le peuple ou à une élite ? Quel est le rôle de l’éducation, question sur laquelle s’est penché Condorcet ? Faut-il des despotes éclairés ?
Au total un livre savant mais qui permet de donner à l’idée des Lumières une consistance alors que l’on se contente trop souvent de les évoquer sans savoir vraiment a quoi elles correspondent.
Je garde la conviction que cette élaboration des idées des Lumières a été un moment crucial de la pensée et que les grands principes qui ont alors été élaborés restent parfaitement valables et nécessaires pour assurer autant que faire se peut le bonheur des peuples. On lira avec intérêt cet entretien avec une romancière noire qui dit juste a propos des Lumières et également cette critique de divers ouvrages sur la question

                                                     



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