"Les crimes de la colonisation et de la guerre d'Algérie doivent être reconnus non par la repentance mais par l'histoire."
Le Président Macron est
intervenu, à plusieurs reprises, sur la question de la mémoire entre l’Algérie
et la France et, à chaque fois, il a créé une polémique. Quand il a évoqué un
crime contre l’humanité, expression sur laquelle il est revenu, lorsque
s’adressant à un jeune Algérien il lui a demandé de regarder plutôt l’avenir,
lorsqu’il a fait la lumière sur la disparition de Maurice Audin et, en ce
moment encore, à l’occasion de la sortie du rapport de M. Benjamin Stora à qui
il a demandé de réfléchir sur les voies et les moyens d’apaiser les visions de
l’histoire entre les Algériens et la France !
C’est peu dire que le rapport
déposé que certains n’ont pas lu en entier a entrainé des positions tranchées et
opposées : du côté Algérien il y a eu, très vite une sorte de bronca car
le rapport a été résumé, un peu vite, par l’Elysée lui-même, par la formule "pas de repentance". Les journaux algériens dans leur majorité ont
trouvé le rapport sans intérêt, le puissant Ministère des Moudjahidin a fait
savoir qu’il condamnait ce rapport et sur les réseaux sociaux beaucoup d’Algériens,
jeunes et moins jeunes, étaient tous à peu près sur le thème : « les
souffrances subies n’ont pas été suffisamment prises en compte.
De l’autre côté en France
beaucoup de catégories ont également été hostiles à ce rapport. Les enfants de Harkis (au moins une partie d’entre eux) n’ont pas eu de mots assez durs pour
souligner que leur situation n’avait pas été prise sérieusement en compte. Les
pieds noirs ont été divisés et, dans l’ensemble, ont considéré les propositions
de M. Stora comme de l’eau tiède !
Face à cette réception il faut
se questionner.
Je dirai d’abord que la démarche
de M. Macron a, au moins, un mérité important à mes yeux, celui d’évoquer la
question, de contraindre chacun a se poser des questions, a regarder
l’histoire.
Je pense ensuite que ce que l’on
pourrait appeler « la modération » du rapport Stora est, en réalité
une sagesse et même une grande sagesse, car il est absolument clair que des
positions plus tranchées dans un sens ou un autre aurait entrainé encore plus
de passion, les feux n’étant pas éteints et n’aurait donc été d’aucun secours
alors que tel qu’il se présente, même s’il mécontent certains, il fait avancer
le débat, s’ouvrir le dialogue et c’est déjà beaucoup.
Maintenant puisque le débat est
ouvert je vais donner aussi mon point de vue.
Dans un texte de mon blog j’avais déjà
fait l’analyse de ce mouvement qui consiste à refaire l’histoire et à
« déboulonner les statues » et j’avais rappelé que l’histoire des
hommes a de tous temps été tragique et qu’elle le sera, probablement encore
dans l’avenir mais que l’histoire, c’est-à-dire ce qui est advenu est un fait
et que personne n’a le pouvoir de faire que ce qui a été soit éliminé.
L’histoire doit être étudiée, connue et enseignée et ce travail des historiens
est capital mais que, par contre l’histoire n’a pas à être instrumentalisée,
utilisée à des fins de politique intérieure ou extérieure. L’histoire est tragique et est jalonnée
de crimes, de fautes, de décisions aberrantes et ceux qui ne veulent voir que
la beauté, les œuvres magnifiques, les actes de bravoure et de générosité -et
il y en a -ne voient qu’un côté de l’histoire complexe des hommes.
Cela dit l’histoire a été et nul n’a le
pouvoir de refaire ce qui a été fait.
Dés lors que cela a existé, la première
exigence est de savoir, de connaître sans faux fuyant la réalité et cela seuls
les historiens peuvent le faire avec précision et si possible sans passion, car
les peuples mêlés à l’histoire en épousent, pendant un certain temps, les
passions et les erreurs.
Utiliser l’histoire, l’instrumentaliser
pour gérer le présent est une grave erreur et tous ceux qui accaparent
l’histoire pour demander des comptes et se donner un statut commettent un
contre sens, s’adressent non à la connaissance mais à la passion politique et
dès lors dénaturent l’histoire.
Ils font de l’histoire réduite dans sa
complexité une arme politique.
Voilà les raisons profondes pour
lesquelles je suis absolument hostile aux lois mémorielles, à la repentance et
que je milite, au contraire pour un développement de la recherche historique et
son enseignement.
Vouloir effacer les signes de crimes
commis dans le passé c’est avoir une attitude simpliste et vouloir, en réalité,
ne plus voir le passé et croire que ne le voyant plus il disparaîtra.
Or c’est ce qui est arrivé
depuis toujours pour l’histoire des rapports de la France et de l’Algérie.
En France elle a été
instrumentalisée par les politiques et elle a servi de clivage entre la droite
(surtout l’extrême droite) et le reste. En Algérie c’est encore plus flagrant.
Le pouvoir, issu du FLN, a utilisé l’attitude de la France son histoire en
Algérie comme un outil de politique, outil qu’il sortait dès qu’il était en
difficulté soit à l’intérieur soit à l’extérieur.
Je dirai que plus grave encore
il a bâti sa politique et l’avenir de ce pays sur le passé, la gloire des
martyrs, le ressassement des responsabilités de la France, oubliant de regarder
et de bâtir l’avenir et oubliant, au passage des pans entier de son histoire et
des crimes commis y compris contre une partie de sa population.
Il va de soi que lorsque l’on a,
ainsi, instrumentalisé l’histoire, occulté une partie de celle-ci, on a du mal à
être dans la nuance et à regarder plutôt l’avenir que le passé.
Je suis donc assez pessimiste
sur l’évolution des choses en ce domaine et je pense que même si quelques
progrès seront faits il faudra encore attendre que s’éteignent les derniers
feux et que se lève en Algérie une autre forme de pouvoir, plus orienté vers le
futur que vers le ressassement inlassable du passé. La France et l’Algérie
n’ont pas su, en raison des passions, mettre en place ces mécanismes qui, en
Afrique du Sud par exemple, ont permis, tout en mettant l’histoire à jour de
regarder ensemble vers l’avenir.
Je rajoute que j'ai lu avec consternation la pétition qui circule sur une des propositions du rapport concernant l'édification d'une statue et d'un hommage à l'Emir Abdelkader! C'est d'une bêtise absolue car au lieu de se réjouir que soit honoré cet homme illustre et qui donne des leçons à notre temps, voilà que l'on s'y oppose! Avec de tels comportements il est vrai que l'on ira pas très loin. Et j'ajoute que cela est contraire à tous les enseignements et a tout ce qu'a été le comportement de l'Emir Abdelkader.
En conclusion je dirai que la
politique des « petits pas » est ,ici, la bonne politique et que l’essentiel
est que le dialogue se noue ,sans arrière-pensée, avec la volonté de construire
un meilleur avenir le passé étant là de façon irrémédiable, loin des rentiers de l histoire des deux côtés de la méditerranée. Faire entrer Gisèle Halimi au Panthéon comme le suggère le rapport Stora est aussi une forme assez claire de reconnaissance de son combat aux côtés des Algériens.
On lira avec intérêt cette analyse critique du rapport Stora.