dimanche 17 novembre 2024

Remi Larue: Albert Camus face à la violence. A l'épreuve du "siècle de la peur"

 

Ce livre de Rémi Larue qui vient de paraitre aux Editions « Le bord de l’eau » et qui s’intitule : Albert Camus face à la violence » a pour objectif d’analyser les positions de Camus sur la violence et c’est, en effet, une analyse complète de l’évolution de la pensée de cet écrivain sur la violence.

On peut dire d’abord que Camus a toujours été préoccupé par la violence et notamment la violence politique mais ce livre démontre bien l’évolution de sa pensée et il cite, notamment, cet extrait datant de 1947 et qui cerne assez bien la position de Camus.

« Ce n’est pas me réfuter en effet que de réfuter la non-violence. Je n’ai jamais plaidé pour elle. Et c’est une attitude que l’on me prête pour la commodité d’une polémique. Je ne pense pas qu’il faille répondre aux coups par la bénédiction.

Je crois que la violence est inévitable, les années d’occupation me l’ont appris. Pour tout dire, il y eu, en ce temps-là, de terribles violences qui ne m’ont posé aucun problème. Je ne dirai donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique, en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence, que cette légitimation lui vienne d’une raison d’Etat absolue, ou d’une philosophie totalitaire. LA violence est à la fois inévitable et injustifiable. Je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu’on peut. »

Et ailleurs il écrit : « J’ai commencé la guerre de 1939 en pacifiste et je l’ai finie en résistant. »

Comme on le voit dans ces extraits Albert Camus est toujours dans la nuance et dans l’analyse de la complexité des situations.

L’auteur examine aussi l’expression souvent employé par Camus : « Ni victime ni bourreau. » et montre les liens qui se nouent entre ces deux attitudes et Camus nous montre qu’en réalité , bien souvent, celui qui a été bourreau devient victime et l’inverse est également vrai. Il conste qu’à la « haine des bourreaux a succédé la haine des victimes et c’est contre cet enchainement qu’il lutte.

Voici une citation très claire à cet égard.

« Eh bien, c’est de cela que nous devons triompher d’abord. Il faut guérir les cœurs empoisonnés. Et demain, la plus difficile victoire que nous ayons à remporter sur l’ennemi, c’est en nous-mêmes qu’elle doit se livrer, avec cet effort supérieur qui transformera notre appétit de haine en désir de justice. Ne pas céder à la haine, ne rien concéder à la violence, ne pas admettre que nos passions deviennent aveugles, voilà ce que nous pouvons faire encore pour l’amitié et contre l’hitlérisme. »

Cet essai revient évidement longuement sur la position de Camus au moment de la guerre d’Algérie qui montre aussi, très clairement, cette dialectique ente victimes et bourreaux.

Je cite, ici, pour terminer cette phrase qui montre bien sa position :

« Le silence, la misère, l’absence d’avenir et d’espoir, le sentiment aigu d’une humiliation particulière au moment où les peuples arabes prenaient la parole, tout a contribué à faire peser sur les masses une sorte de nuit désespérée d’où fatalement devaient sortir des combattants. Alors a commencé à fonctionner une dialectique irrésistible dont nous devons comprendre l’origine et le mortel mécanisme si nous voulons lui échapper. »

Camus confronté à la violence du siècle et des totalitarismes a tout fait pour limiter cette violence et faire qu’elle épargne ,au moins, les innocents.

Ce livre nous donne une clé de lecture des évènements actuels.

En Ukraine il n'est pas douteux que les règles voulues par Camus entrainent la condamnation ferme de la Russie et pour deux raisons. D'abord cette utilisation de la violence par la Russie est illégitime car elle n'a pas de raisons acceptables. L'Ukraine n'a jamais attaqué ni voulu attaqué la Russie.

En second lieu les moyens utilisés par la Russie qui ne s'attaque pas uniquement aux soldats mais aux civils innocents et qui  commet des crimes de guerre doit être condamnée selon ces analyses.

En Palestine nul doute que Camus (qui aimait beaucoup Israël et qui l'a dit à plusieurs reprises) aurait cependant pensé que les Palestiniens en  raison de la façon dont ils sont traités à Gaza, prison à ciel ouvert et en Cisjordanie ou le pouvoir Israélien , contrairement au droit international développe sa colonisation, ont des raisons de se révolter. Dans le même temps il aurait clairement et d'une voix forte condamner les attaques du Hamas contre des civils innocents et avec des moyens d'une grande barbarie.

D'un autre côté Israël a des raisons d'utiliser la violence pour se défendre mais, là encore,  une condamnation aurait été porté contre l'attaque de milliers de civils innocents et par des pratiques (déplacement de population et limite à l'aide humanitaire) qui ne peuvent se justifier. Quand on a , ainsi, des milliers de morts civils il est impossible de parler sérieusement de dommages collatéraux.

Mais,  bien entendu , de la même façon que Camus n'avait pas été compris ,  à l'époque ,ni par les Algériens ni par les Européens d'Algérie, dans le feu de l'action il ne serait pas compris ni des Palestiniens ni des Israéliens et c'est à désespérer de l'humanité.

 

 

 

 

dimanche 3 novembre 2024

Christophe Bigot: Un autre m'attends ailleurs.

 

Parmi mes écrivains préférés il y a Marguerite Yourcenar dont j’ai pratiquement tout lu. Ses « mémoires d’Hadrien » sont un des très grands livres de la littérature. Je ne pouvais donc pas passer à côté de ce livre de Christophe Bigot : Un autre m’attend ailleurs. C’est un roman mais nourri de beaucoup d’éléments biographiques.

On est presque à la fin de la vie de l’écrivain. Elle vit dans sa maison dans l’île de Mont Désert avec sa compagne de 40 ans, Grace Frick qui est sa traductrice et qui tient sa maison. Grace Frick est atteinte d’un cancer et proche de la phase terminale.

C’est alors qu’à l’occasion de la venue d’une équipe de télévision qui veut faire un documentaire sur Marguerite Yourcenar elle fait la connaissance de Jerry Wilson, un jeune homme, d’une trentaine d’année, assistant du réalisateur et pour lequel elle éprouve une sorte de coup de foudre malgré les nombreuses années qui les séparent.

On assite à l’agonie et à la mort de Grace Frick et très vite après sa disparition, trop vite penseront certains, elle part ave Jerry Wilson pour un long voyage à travers les Etats Unis et pour une croisière. Elle fait ainsi de très longs voyages, toujours en bateau car elle ne veut pas prendre l’avion. Elle revoit, ainsi, des lieux qu’elle a connus et aimés dans sa jeunesse en compagnie de Grace : L’Egypte et le Nil à la recherche d’Antinoüs un des héros des Mémoires d’Hadrien. Elle revoit l’Angleterre, la Belgique de sa naissance, le Maroc, le Japon. Elle revit et étonne par son énergie.

Mais la fin sera une véritable tragédie. Les relations entre Marguerite Yourcenar et Jerry Wilson se dégrade. Jerry a un comportement de plus en plus violent dû à la drogue et à des relations toxiques et on voit cette femme âgée, très célèbre pardonner l’impardonnable.

On a du mal à comprendre comment Marguerite Yourcenar a pu accepter d’être ainsi traitée. L’explication se trouve, sans doute, dans cet amour singulier qu’elle a eu pour ce jeune homme.

Jerry Wilson meurt du Sida en 1986 et Marguerite Yourcenar disparaît à son tour en 1987.

Ce livre est absolument captivant en nous dévoilant la dernière partie, singulière de sa vie et en nous dépeignant une femme indépendante, éloignée des convenances sociales. La soirée où elle se rend, dans le Marais à Paris, après sa réception à l’Académie Française où elle quitte la réception officielle laissant en plan tous les invités est le trait d’une indépendance totale.

C’est un éclairage sur le caractère de cette femme et c’est captivant pour ceux qui l’ont lu. Voici un lien d'une émission dans laquelle s'exprime l'auteur du livre:  Marguerite Yourcenar : mystères et génie d'une écrivaine inclassable   

               

samedi 2 novembre 2024

Kamel Daoud : Houris

 

Je viens de terminer la lecture du dernier roman de Kamel Daoud : « Houris » Ce livre figure parmi les finalistes pour le prix Goncourt et cela me paraît tout à fait justifié.

Ce roman est l’histoire d’Aube, une jeune femme qui a été victime d’une très grave attaque des islamistes pendant la décennie noire en Algérie dans les années 90.

Victime d’une tentative d’égorgement ne peut plus parler, elle ne peut respirer que grâce à une canule installée dans sa gorge et elle a une horrible trace de sa blessure sur la gorge qui fait peur aux enfants et détourne le regard des adultes.

C’est, cependant une femme libre. Elle n’est pas mariée et subvient a ses besoins en tenant un salon de coiffure. Elle est , ce faisant , une anomalie pour les milieux conservateurs en Algérie.

Au moment où débute le roman, Aube est enceinte. Elle ne l’annonce à personne pas même à sa mère mais s’adresse à son futur bébé à qui elle raconte ce qu’elle a vécu et comme ce futur bébé est une fille elle lui montre qu’elle sera sa place dans ce pays.

Rien ne nous est épargné de la barbarie des islamistes et leur incommensurable bêtise. La scène chez le gynécologue serait très drôle si elle n’était aussi le reflet de la bêtise absolue qui se donne des airs de religion !

On va suivre un long périple de cette jeune femme qui veut retourner sur les lieux de son malheur et ce sera l’occasion pour l’auteur de revenir sur l’ensemble des drames du pays à cette époque. Aube pense à avorter car, comme elle l’explique a son futur bébé elle ne veut le laisser venir dans un tel monde et elle lui explique et à nous par là même pourquoi.

Tout au long de son périple elle fait des rencontres. Ces destins ont été, eux-aussi, bouleversés par les islamistes et c’est une façon, pour l’auteur ,de protester contre la décision du pouvoir d’effacer cette guerre, de passer l’éponge sur ces crimes, sans jugement, sans récit comme si cela n’avait pas existé

Le lecteur est amené à réfléchir sur cet oubli volontaire, sur l’absence de tous récits historiques dans un pays, par ailleurs si soucieux d’histoire dans sa guerre contre la France !

Ce roman est fort et il revient, en détail sur cette période historique. Il fera date et il amène le lecteur à affronter des questions essentielles sur la place des femmes, sur l’idéologie islamiste, sur le rôle de la mémoire et de l’histoire.