lundi 17 février 2025

Jean Pélégri: Ma mère l'Algérie

 Pour ce livre de Jean Pélégri paru pour la première fois en 1989 je ne vais faire aucun commentaire mais je vais me contenter de citer un passage du livre et ,j'en suis sûr, il vous donnera le ton général de ce récit et vous donnera envie de le lire.

Le passage , le voici (p. 51 et s.)

"Il y a une tragédie, selon le mahatma Gandhi quand les uns n'ont pas tout à fait tort et les autres pas tout à fait raison. La guerre civile est une de ces tragédies. En particulier quand elle concerne l'avenir et le destin des vôtres et de votre communauté. Pour trancher ce genre d'affaires, pour choisir, la parole  militante, le discours idéologique ne suffisent pas . Et encore moins les propagandes toujours douteuses. On a besoin pour comprendre, pour trancher, d'intercesseurs modestes, de messagers à la parole sincère qui vous fasse comprendre l'injustice sans mettre en cause la dignité des vôtres - afin que l'adhésion ne soit pas simplement un acte intellectuel abstrait et plus ou moins gratuit mais qu'elle vous engage tout entier. Sans trahison des vôtres, sans reniement de ce qui vous est cher. 

Cette parole juste, je l'avais trouvé dans  Bokhala et dans mes anciens compagnons d'armes algériens. Je l'avais déjà trouvée, élaborée, dans les livres de Roblès, Mammeri et Feraoun. Dans les poèmes de Jean Sénac, dans le vautour de Kateb Yacine, dans le roman de Dib La Grande Maison, qui m'ouvrit l'oreille et qui m'aida à trouver le ton qu'il fallait pour faire parler les hommes et les femmes d'Algérie. Mais la parole juste, douce, subtile, dont j'avais besoin, je l'ai trouvée dans une vielle femme algérienne, du nom de Fatima, qui surgit dans ma vie au moment voulu. Au tout début de la guerre d'Algérie. Une vielle femme illettrée. Mais l'on sait ce qu'il est dit dans le Coran  de l'illettré.

Un jour comme les autres, elle se présenta pour demander du travail. Nous n'en avions pas la nécessité, mais je ne sais pourquoi, à cause de son regard et de sa dignité, nous l'engageâmes pour une heure ou deux par jour. Et c'est ainsi que nous nous sommes mis à parler avec elle, chaque jour en prenant le café ,où pendant qu'elle berçait dans ses maigres bras mon fils encore enfant. Malgré son français maladroit, elle avait sur toutes les choses, sur la vie, la vieillesse , l'amour maternel, la guerre, des jugements  qu'aurait pu envier le plus savant des moralistes, des images saisonnières  où intervenaient tout naturellement la lune , le figuier, le jasmin, le lilas. Et je l'écoutais ému, émerveillé. Chaque jour surpris par ses trouvailles et chaque jour étonné par cette simple et profonde sagesse.

C'est ainsi qu'elle nous apprit, par un détour, que son unique fils avait été tué au maquis pendant des combats. Nous montrant un avion de chasse, elle dit :"Regarde là-haut cette montagne. regarde cet avion qui passe...mon fils aussi l'a regardé!" Et elle ajouta, lointaine, "Quand Dieu te donne un fils, ce n'est pas pour l'enterrer!" Et là j'ai compris à qui elle pensait quand , avec un sourire lointain, elle berçait mon fils entre ses bras en lui chantant une berceuse arabe.

Ainsi, par elle, par ce sourire, par ces paroles douces et subtiles qui ne mettaient pas en cause la dignité des miens, j'ai franchi, sans déchirement, des obstacles qui pouvaient paraître insurmontables.

J'ai compris, parce que je l'aimais, que le racisme n'était qu'une simple et fragile barrière de roseaux.

J'ai compris, jour après jour, sans heurt et sans fracas, le sens du combat du peuple algérien, l'autre côté et l'autre nom des choses, l'autre nom de Dieu. Et sous ses yeux je me suis mis, chaque jour, à apprendre l'écriture arabe et à tracer mes premiers signes. Avec le plaisir de l'enfant qui transforme des sons familiers en lettres- et aussi l'émotion de l'entendre doctement corriger ma prononciation défectueuse. Un apprentissage qu'elle suivit avec attention, à la fois amusée et fascinée- en me demandant parfois d'écrire, sur un petit bout de papier, une phrase sur sa petite-fille Dhalila. Et j'écrivais en signe arabe, de droite à gauche, en m'appliquant: "Dhalila est une. Cela fait, en élève docile, je lui tendais le bout de papier qu'elle regardait un instant, comme si elle savait lire, en murmurant une ou deux fois la phrase arabe. Et qu'après l'avoir plié elle glissait ensuite, comme un talisman, au creux de sa maigre poitrine. En me remerciant avec un sourire heureux que je vois toujours."





samedi 15 février 2025

Walid Hajar Rachedi : Albert Camus Non à la divison

 Walid Hajar Rachedi , un jeune écrivain Algérien vient de publier aux Editions Actes Sud Jeunesse un livre consacré à Albert Camus un écrivain qui l'inspire. Ce livre a pour titre : Albert Camus: Non à la division et il comporte deux parties clairement distinctes y compris sur le plan typographique. La première partie extrêmement émouvante part de ce jour où Albert Camus apprend que le Prix Nobel de Littérature lui est décerné. L'auteur sait décrire avec un grand talent les réactions d'Albert Camus à cette nouvelle. Il évoque ensuite à la fois avec une grande précision , une grande clarté ce que l'on a appelé l'incident de Stockholm c'est à dire l'interpellation par un jeune Algérien sur sa position sur la question Algérienne. C'est la première fois que je vois décrire cet épisode  qui a été exploité de manière abusive  et , en réalité, malhonnête par certains intellectuels de l'époque. Il évoque aussi très bien ce moment de l'appel pour une trêve civile.
L'auteur met en scène ce jeune Algérien et l'on retrouve le récit bouleversant (déjà rendu public par José Lenzini) de ce jeune allant à Paris pour rencontrer Camus, apprenant par Jules Roy qu'il vient de décéder et qui se rend sur la tombe de l'écrivain à Lourmarin.
Je crois que ce livre fait justice et je m'en réjouis, de toutes les polémiques nées de ce moment à Stockholm.
La deuxième partie ( moins romanesque) nous rappelle tous ceux dans l'histoire récente qui   ont  œuvrés paour éviter  la division des peuples ayant subis une grave crise, une grande tragédie. Ce livre n'a que 80 pages mais il est très dense et je le conseille absolument aux amateurs d'Albert Camus et de son oeuvre.

samedi 1 février 2025

Sandrine Collette: Madeleine avant l'aube.

 Ce roman paru en 2024 a connu un très grand succès et a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens. J'ai aimé  Houris le roman de Kamel Daoud qui a lui obtenue le Prix Goncourt. Si j'avais été juré j'aurai attribué ce prix à ce roman.

C'est un livre très dur. Je me suis demandé si j'avais déjà lui un livre d'une telle dureté. Je n'ai rien trouvé dans mes souvenirs. Mais toute cette dureté nous est donnée dans un style magnifique.

Le roman se déroule dans une petite région rurale à une époque (heureusement lointaine) où la vie des paysans était d'une très grande dureté, dominée par des seigneurs qui leur prenaient l'essentiel et victimes du climat qui, certaines années, les laissaient sans récolte et les conduisaient à la famine.

Le roman évoque une famille dans trois fermes isolées, séparées du bourg et qui voit apparaître ,un jour , une fille des bois qui a ,sans     doute perdu ses parents et s'est élevée seule au milieu des bois: une sauvageonne au caractère bien trempé . Elle sera adopté par une famille mais entre famines et viols par le fils du seigneur sa vie ne sera qu'une longue suite de malheurs jusqu'au drame finale.

L'auteur Sandrine Collette  qui vit dans une région âpre a étudié les documents sur les famines dues, pour l'essentiel ,  au climat et qui ont entrainé des morts. Ces paysans sont confrontés à un travail harassant, au froid et au gel, aux aléas du climat qui supprime certaines récoltes, à la faim. On se demande comment ils résistent.

Il y a l'instinct de survie, une forme d'acceptation du sort mais aussi le lien familial qui aide à supporter l'insupportable.

On ne sait plus ,aujourd'hui ,à quelles difficultés, à quelles misères ont été confrontés certains paysans à ces époques et ce roman nous invite à mesurer les progrès réalisés, non que tout soit parfait, loin de là, mais on ne connaît plus la dureté de ces temps que l'a a peine à imaginer.