dimanche 17 août 2014

Jean Sénac, poète et martyr

Jean Sénac, poète et martyr est le titre d’une belle biographie de Bernard Mazo paru aux Editions du Seuil en 2013    . Quelle vie ! Une jeunesse dans l’Algérie coloniale à Oran auprès d’une mère aimante et un peu envahissante, une jeunesse joyeuse mais dans  une grande pauvreté et  surtout une blessure fondatrice : l’absence du père, dès lors recherché et idéalisé. Une vie en marge, un amour pour son pays et son peuple, un combat de tous les jours pour la liberté et l’indépendance de ce pays et puis, la déception, l’abandon et la mort. Assassiné comme Pier Paolo Pasolini, dans cette cave qui lui servait de logement les dernières années de sa vie. Quelle tristesse qu’un être de ce talent, reconnu comme un grand poète, connaisse un tel destin. Mais, sans doute, ces malheurs sont ils à l’origine de son talent poétique. Il est de la race des poètes maudits.
Jean Sénac fut ami et admiré par deux grands esprits : Albert Camus et  René Char. Son amitié tumultueuse avec Albert Camus est très bien décrite dans ce livre depuis le premier échange de lettres jusqu’à la rupture et à la mort de Camus. Il est vrai que leur jeunesse, dans cette Algérie coloniale, se ressemble beaucoup : orphelin de père, pauvreté, mère faisant des ménages pour survivre, mais il y a en plus, si l’on peut dire, chez Sénac la bâtardise, le père inconnu alors que Camus a perdu  son père à la guerre.
Est-ce cette semblable jeunesse qui a fait que Camus s’est attaché à Jean Sénac qu’il appelait familièrement Mi Hijo (mon fils) qu’il l’a aidé a de très nombreuses reprises ? Sans doute mais aussi le talent incontestable  de ce poète qu’Albert Camus a su immédiatement reconnaître.
Que dire encore ? La brouille avec Camus qu’il ne pourra oublier et avec qui il souhaitera, plusieurs fois renouer comme lorsqu’il écrivit ces lignes :
« Malgré les ruptures, malgré les crimes des Maîtres du Sarment, la terrible colère de mes frères, malgré la nuit du sang où nous sommes plongés, je sais que nous retrouverons un jour, ensemble, la paix fraternelle de Fiesole que j’avais aimée avant de la vivre dans les pages de Noces. »
Dire aussi,  le combat de Sénac pour une Algérie indépendante, son retour en Algérie après 1962, ses fonctions quasi officielles dans le nouveau pays et, peu à peu, la désillusion devant les dérives de ceux qui avaient fait la guerre, la rupture avec éclat, l’isolement , son assassinat tragique et l’attitude indigne de certains dignitaires du FLN dont il avait été pourtant le compagnon et qui n’ont pas fait, à ce moment là, honneur à l’Algérie.
Mais évoquant, ici, un poète il est nécessaire de renvoyer a son œuvre et  de citer quelques vers.

Seigneur, pourquoi m’avez-Vous fait
D’une aussi peu commune argile ?
Mais vous m’avez voulu poète
Et frappé d’un Mal sans recours :
Trop de Rêve et trop peu d’Amour
Pour satisfaire en moi la Quête.

Et aussi
Belle peau de douce orange
Et ces dents de matin frais !
La misère donne le change
Ne vous fiez pas à tant de beauté.
Ici on meurt en silence,
Sans trace au matin frais.

Et enfin

Je dis que la mer est aussi bleue que les blés
Je dis que le vin chante au menton mal rasé
Je dis que la serviette a l’odeur de tes songes
Si le mot était de pain
Il passerait mieux la gorge

Nous pourrions enfin être heureux.

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