Jean Sénac, poète et martyr est le titre d’une belle biographie de Bernard Mazo paru aux Editions du Seuil en 2013 . Quelle vie ! Une jeunesse dans
l’Algérie coloniale à Oran auprès d’une mère aimante et un peu envahissante,
une jeunesse joyeuse mais dans une
grande pauvreté et surtout une blessure
fondatrice : l’absence du père, dès lors recherché et idéalisé. Une vie en
marge, un amour pour son pays et son peuple, un combat de tous les jours pour
la liberté et l’indépendance de ce pays et puis, la déception, l’abandon et la
mort. Assassiné comme Pier Paolo Pasolini, dans cette cave qui lui servait de
logement les dernières années de sa vie. Quelle tristesse qu’un être de ce
talent, reconnu comme un grand poète, connaisse un tel destin. Mais, sans
doute, ces malheurs sont ils à l’origine de son talent poétique. Il est de la
race des poètes maudits.
Jean Sénac fut ami et admiré par deux grands esprits :
Albert Camus et René Char. Son amitié
tumultueuse avec Albert Camus est très bien décrite dans ce livre depuis le
premier échange de lettres jusqu’à la rupture et à la mort de Camus. Il est
vrai que leur jeunesse, dans cette Algérie coloniale, se ressemble
beaucoup : orphelin de père, pauvreté, mère faisant des ménages pour
survivre, mais il y a en plus, si l’on peut dire, chez Sénac la bâtardise, le
père inconnu alors que Camus a perdu son
père à la guerre.
Est-ce cette semblable jeunesse qui a fait que Camus s’est
attaché à Jean Sénac qu’il appelait familièrement Mi Hijo (mon fils) qu’il l’a
aidé a de très nombreuses reprises ? Sans doute mais aussi le talent
incontestable de ce poète qu’Albert
Camus a su immédiatement reconnaître.
Que dire encore ? La brouille avec Camus qu’il ne pourra
oublier et avec qui il souhaitera, plusieurs fois renouer comme lorsqu’il
écrivit ces lignes :
« Malgré les ruptures, malgré les crimes des Maîtres du
Sarment, la terrible colère de mes frères, malgré la nuit du sang où nous
sommes plongés, je sais que nous retrouverons un jour, ensemble, la paix
fraternelle de Fiesole que j’avais aimée avant de la vivre dans les pages de
Noces. »
Dire aussi, le combat
de Sénac pour une Algérie indépendante, son retour en Algérie après 1962, ses fonctions
quasi officielles dans le nouveau pays et, peu à peu, la désillusion devant les
dérives de ceux qui avaient fait la guerre, la rupture avec éclat, l’isolement
, son assassinat tragique et l’attitude indigne de certains dignitaires du FLN
dont il avait été pourtant le compagnon et qui n’ont pas fait, à ce moment là,
honneur à l’Algérie.
Mais évoquant, ici, un poète il est nécessaire de renvoyer a
son œuvre et de citer quelques vers.
Seigneur, pourquoi m’avez-Vous fait
D’une aussi peu commune argile ?
Mais vous m’avez voulu
poète
Et frappé d’un Mal sans
recours :
Trop de Rêve et trop
peu d’Amour
Pour satisfaire en moi
la Quête.
Et aussi
Belle peau de douce
orange
Et ces dents de matin
frais !
La misère donne le
change
Ne vous fiez pas à tant
de beauté.
Ici on meurt en silence,
Sans trace au matin
frais.
Et enfin
Je dis que la mer est
aussi bleue que les blés
Je dis que le vin
chante au menton mal rasé
Je dis que la serviette
a l’odeur de tes songes
Si le mot était de pain
Il passerait mieux la
gorge
Nous pourrions enfin
être heureux.
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