Michel Field publie aux Editions Mialet-Barrault « Paris
émois » un essai, un récit dans lequel il évoque au long des pages des
quartiers et des rues de Paris où s’est déroulé une grande partie de sa vie. Le
livre débute par l’évocation de l’incendie de Notre Dame de Paris en avril 2019
et se termine par le premier confinement et la vision tout a fait inhabituelle
de Paris quasiment désert.
J’aime beaucoup la couverture de ce livre qui reproduit le magnifique
tableau de Gustave Caillebotte : Rue de Paris un jour de pluie.
Quant au livre lui-même on y trouve l’évocation de très nombreux
endroits avec des rappels historiques et l’auteur nous donne les souvenirs
personnels que ces lieux évoquent pour lui.
Je dois dire que j’ai été un peu déçu car dans les rappels historiques
je n’y ai pas appris grand-chose, beaucoup des éléments qui y figurent ne sont
pas originaux et, quant aux souvenirs de l’auteur, il y en a assez peu qui
sortent de l’ordinaire des vies d’aujourd’hui. J'ai préféré et de beaucoup le livre ayant le même objet qu'a publié par Laurent Gaudé: "Paris mille vies". Un passage m’a, cependant ému, celui où
l’auteur évoque une employé de l’Etat civil de la Mairie du XII°
arrondissement. Je n’en dis pas plus, le lecteur s’y reportera.
Je n'avais encore jamais lu le roman de Boris Pasternak :Docteur Jivago. J'avais vu le magnifique film avec l'acteur Omar Sharif dans le rôle de Youri Jivago et j'avais aussi lu un certain nombre de textes et récemment un essai sur la façon dont ce livre , condamné par les autorités soviétiques, avaient été publié en occident (un véritable roman du roman!) mais je n'avais donc pas lu le roman lui-même. C'est chose faîte. C'est un roman touffu dont l'histoire se situe à cette période capitale de l'histoire russe, celle où s'est préparé et réalisé la révolution communiste. C'est une période de désordre , de violence et de misère qui s'est ouverte et le roman donne bien à voir la cruauté et le désordre de tous ces changements. Les péripéties sont nombreuses et il arrive que l'on se perde un peu. Moi qui lit assez rapidement j'ai dû prendre mon temps pour lire les quelques 700 pages de ce roman qui , comme beaucoup de romans des grands écrivains russes (Tolstoï, Dostoïevski) est foisonnant, complexe comme l'âme russe mais cela vaut la peine et on voit bien pourquoi ce roman a déplu aux autorités: il montre les erreurs, les crimes , les illusions de la révolution, qui finalement n'a apporté que du malheur.
Lecteur ayez la patience de lire jusqu'au bout et vous serez bouleversé par les dernières pages: la mort de Youri Jivago et la douleur de son grand amour :Lara.
Jean Birnbaum vient de publier
au Seuil un essai intitulé : « Le courage de la nuance » dans
lequel , après avoir constaté que, notamment sur les réseaux sociaux, les
discussions étaient tout sauf nuancées et qu’elles relevaient plus de l’anathème
et de l’exclusion que d’un réel dialogue, étudie un certainnombres d’écrivains et intellectuels qui,
selon lui, ont été des personnes de dialogue et de nuance.
Le livre s’ouvre sur le cas
d’Albert Camus dont on cite souvent deux phrases qui caractériseraient sa
pensée :
-« Si il y avait un parti
des gens qui doutent j’en ferai partie » et « Mal nommer une chose
c’est ajouter au malheur du monde ».
Et il est vrai qu’Albert Camus
a souvent été critiqué parce qu’il n’était dans aucun moule et qu’il refusait
les simplifications idéologiques outrancières. Si on l’a si mal compris sur
l’Algérie c’est bien qu’il était, en effet, dans la nuance. Il condamnait la
colonisation et la façon dont le pouvoir traitait les algériens (et il l’a fait
dés sa jeunesse avec courage) mais d’un autre côté il ne comprenait pas que les
européens d’Algérie, souvent assez pauvres comme l’était sa mère, ne puisse pas
trouver une place dans ce pays. Mais ces nuances qu’il apportait sur la
question algérienne il les avait, aussi, sur l’Allemagne après la guerre.
L’auteur évoque aussi un grand
écrivain, peut-être un peu oublié Georges Bernanos. Voilà un écrivain
monarchiste actif, antisémite qui va , au début admirer l’action de Franco en
Espagne mais qui, très vite va accepter de voir les crimes odieux commis par
les militaires et par l’Eglise. Dans ses « Grands cimetières sous la
lune » il va condamner sans ambiguïté cette action de la droite espagnole,
acceptantnous dit l’auteur de voir et
ne se contentant pas de slogan et d’idéologie.
Les pages consacrées a
Germaine Tillon sont également très belles et nous montre un esprit éclairé
refusant ,elle aussi, les idéologies meurtrières avec sur la question
algérienne la même analyse que celle de Camus.
Je ne suis pas sûr que le
titre sois bien choisi et que la nuance soit vraiment ce qui caractérise ces
différents intellectuels. J’y vois plus une grande lucidité liée à des valeurs
solides qui leur permettent de d’y « voir clair », de ne pas se
laisser embrigader par des idéologies. Mais quand ils ont vu clair ils ne sont
pas dans la nuance et défendent avec force leurs valeurs.Et d’ailleurs l’auteur ne cite-t-il pas cette
phrase de Raymond Aron selon laquelle « la lucidité est la première loi de
l’esprit. » ?
L’auteur nous amène aussi à
réfléchir sur cette attitude très dangereuse pour la pensée qui consiste à
dire : « Vous ne pouvez pas dire cela car vous faites le jeu de
l’ennemi »Ne pas faire « le jeu de l’ennemi » conduit souvent ,
en effet, à ne pas voir ou à ne pas dire ce qu’il faudrait voir ou dire.
Les intellectuels qu’il évoque
n’ont pas eu peur de « faire le jeu de l’ennemi » ils ont fait primer
leurs valeurs.
Il y a un lien évident entre
tous ces intellectuels et cela les oppose à toute cette intelligentsia qui s’est
si gravement trompé sur le communisme puis sur la maoïsme. Pas étonnant qu’Anah
Arendt ait clairement dit qu’elle admirait Albert Camus et qu’elle n’avait rien
appris de Sartre !
On écoutera aussi cet intéressante analyse de la pensée nuancée