Je vous propose un petit texte, résultat d'un travail d'été sur la
PHILOSOPHIE DE CAMUS
On sait que l’un des procès qui ont été fait à Albert Camus
dans les années 50 par l’intelligentsia parisienne était celui de ne pas être
un véritable philosophe et l’on se souvient de l’imbécile apostrophe « philosophe
pour classe terminale » qui voulait dire le mépris des intellectuels de
l’époque pour cet écrivain venu d’Algérie.
Alors il est vrai que Camus a une faible formation
universitaire en philosophie et qu’il n’a pas fait « Normale Sup ».
Ila un simple diplôme d’études supérieures obtenu à Alger sur un mémoire
consacré au relation de Saint Augustin le père de L’Eglise , ancien évêque
d’Hippone l’actuel Annaba et de Plotin philosophe grec.
Peu de choses au yeux de ces intellectuels bardés de diplômes !
Par ailleurs il est vrai qu’Albert Camus est d’abord et avant
tout un écrivain, une plume qui évite de jargonner comme certains de ses
détracteurs.
Et , enfin, sa pensée que nous allons analyser se méfie avant
tout des systèmes, des théories, des analyses abstraites faites dans un
langage souvent difficile d’accès.
Alors oui, Albert Camus n’est pas un philosophe de système et
on ne lui doit aucune théorie voulant expliquer la totalité du monde mais
est-ce a dire ,pour autant, qu’il n’est pas philosophe au sens de celui qui
questionne le monde et donne son point de vue sur les grandes questions qui se
posent a l’humanité ,je ne le pense pas et je suis même sur du contraire.
Et c’est à cette recherche de la philosophie de Camus que je veux
en venir maintenant.
Comme ,précisément il n’élabore pas vraiment un système
totalisant, expliquent le monde il est
préférable de commencer par souligner ce qu’il n’est pas, d’analyser les
théories qu’il rejette clairement pour tenter ensuite de voir sa propre pensée.
I. L’incroyance
La première chose à souligner ,car elle sous-tend l’ensemble
de sa pensée , c’est son incroyance, son refus de Dieu et des religions, car ce
refus premier qui le conduit à sa thèse de l’absurde. Le monde , en effet ,ne
peut être absurde pour ceux qui croient a une vie ultérieur ,à un monde autre
que notre monde terrestre. Pour eux la vie a un sens.
Or Camus n’a jamais pu entrer dans cette foi. Il le dit a de
très nombreuses reprises lorsqu’il évoque l’horreur de la mort.
Cela ne l’empêche pas de respecter les croyants et même
pourrait on dire de les envier. Il faut lire à cet égard la conférence qu’il
donna devant des religieux au couvent des dominicains de Latour-Maubourg en
1948 ( La Pléiade-Essais-p.371 et s)
Ce texte est important car il nous montre clairement la façon
de faire d’Albert Camus et d’abord son respect de l’interlocuteur.
Il faut citer ici , cette partie du texte :
« En second lieu,
je veux déclarer encore que, ne me
sentant en possession d’aucune vérité absolue et d’aucun message, je ne
partirai jamais du principe que la vérité chrétienne est illusoire, mais
seulement de ce fait que je n’ai pu y entrer. » et plus loin :
« Ceci dit, il me
sera plus facile de poser mon troisième et dernier principe. Il est simple et
clair. Je n’essaierai pas de modifier rien de ce que je pense ni rien de ce que vous pensez ( pour autant que je puisse en juger) afin
d’obtenir une conciliation qui nous serait agréable à tous. Au contraire ce que
j’ai envie de vous dire aujourd’hui c’est que le monde a besoin de vrai dialogue, que le contraire du
dialogue est aussi bien le mensonge que le silence, et qu’il y a donc de
dialogue possible qu’entre des gens qui restent ce qu’ils sont et qui parlent
vrai. »
Ce texte montre un grand respect de l’interlocuteur a qui on
va dire clairement et sans détour son point de vue mais on dont on va respecter
la pensée.
Et cela ne l’empêche pas de dire des choses fortes et même
dures. C’est ainsi qu’il va dire a ces religieux qu’il n’a pas compris le
silence du Pape pendant la période nazis. Il fait référence ici à un problème
souvent soulevé sur le silence du Pape Pie XII face aux crimes nazis. Cette
affaire a donné lieu après le décès de Camus a une pièce de théâtre qui a fait
scandale a son époque et qui s’intitule Le Vicaire de
Rolf Hochhut en 1963 et, plus tard encore, au film de
Costa-Gavras : « Amen. »
Je trouve que c’est Camus qui a le mieux posé cette question :
« Et pourquoi ici
ne le dirais-je pas comme je l’ai écrit ailleurs ? J’ai longtemps attendu
pendant ces années épouvantables qu’ne grande voix s’élevât de Rome. Moi incroyant ? Justement. Car je savais
que l’esprit se perdrait s’il ne poussait pas devant la force le cri de la
condamnation. Il paraît que cette voix s’est élevée. Mais je vous jure que des
millions d’hommes avec moi ne l’avons pas entendu et qu’il y avait alors dans
tous les cœurs, croyants ou incroyants, une solitude qui n’a pas cessé de
s’étendre à mesure que les jours passaient et que les bourreaux se
multipliaient.
On m’a expliqué depuis
que la condamnation avait été bel et bien portée. Mais qu’elle l’avait été dans
le langage des encycliques qui n’est point clair. La condamnation avait été
portée et elle n’avait pas été comprise ! Qui ne sentirait ici où est la
vraie condamnation et qui ne verrait que cet exemple apporte en lui-même un des
éléments de la réponse…..Ce que le monde attend des chrétiens est que les
chrétiens parlent a haute et claire voix, et qu’ils portent leur condamnation
de telle façon que jamais le doute, jamais un seul doute, ne puisse se lever
dans le cœur de l’homme le plus
simple. »
Il ne croit donc pas mais respecte ceux qui croient et cela
on le verra aussi dans ses romans et notamment l’étranger et La Peste.
Dans l’Etranger on se souvient qu’après sa condamnation à
mort Meursault va avoir un long
entretien avec l’aumonier venu lui proposer son aide, aide qu’il refusera.
C’est un dialogue puissant dans lequel et à plusieurs reprises Meursault
confirme à l’aumonier qu’il ne croit pas et que cela ne l’intéresse pas et il
va jusqu’à la colère face a l’insistance du prêtre.
Dans La Peste Camus met aussi en scène un dialogue entre un
athée et un croyant ,un prêtre et c’est alors pour montrer que face a un fléau
comme la peste il n’est pas nécessaire de croire pour agir et qu’au contraire
là où l’homme d’Eglise agit en priant celui qui ne croit pas est plus pratique
et il agit ici et maintenant, sur cette terre avec ses moyens pour lutter
contre le fléau et aider ses frères humains.
Il y a donc dans cette attitude une mise en place d’une
philosophie de la solidarité humaine sans avoir besoin de ce je n sais quelle
croyance.
II. L’amour du monde et
de la vie
Il est donc incroyant mais il aime le monde et la vie. Chacun
connaît ,plus ou moins la vie de Camus qui , d’une certaine manière n’a pas été
épargné par le malheur (perte du père juste après sa naissance- pauvreté- sa
vie dans une famille illettrée- la maladie grave qui l’atteint jeune encore et
qui le poursuivra toute sa vie- difficultés dans sa vie familiale et, enfin ,
drame de l’Algérie son pays natal) et malgré cela Camus est doué pour le
bonheur et il aime le monde qu’il
glorifie comme on glorifie un Dieu.
Il suffit de lire son « Noces a Tipaza » pour comprendre
une autre partie de sa philosophie l’accord de l’homme avec le monde, la
jouissance des plaisirs simples que donne le soleil et la mer et d’ailleurs il
nous dit clairement : a quoi bon les Dieux quand on peut jouir des
plaisirs de la vie, de la nature du ciel et de la mer. Ne pourrait-on pas dire
qu’il est panthéistes et que pour lui les dieux sont partout et surtout dans la
nature ?
Ainsi ce très beau texte :
« Bien pauvres
sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères
dans la course des journées. Je décris et je dis : « Voici qui est
rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les
fleurs » Et qu’ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j’aime
écraser les boules de lentisques sous mon nez ? Est-il même a Demeter ce
vieil hymne à quoi plus tard je songerai
sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu
ces choses. » Voir rte voir sur cette terre, comment oublier la
leçon ? »
Il y a là un deuxième aspect très important de la philosophie
de Camus. Le monde est beau, vivre est souvent agréable et il faut savoir
profiter de ce don.
III. L’absurde
Et finalement ce que l’on a retenu de la philosophie de Camus
la notion de l’absurde qu’il a développé dans le mythe de Sisyphe c’est
précisément le rapprochement qu’il fait entre cet amour de la vie, de la beauté
, de la jouissance et la mort.
Vivre est merveilleux mais l’on va mourir. Cela le heurte, le
choque, lui fait mal. Il déteste cette idée de ne plus jouir de la vie et cette
interrogation qui est d’ailleurs la question fondamentale qui interroge le
monde depuis l’origine est celle qui a conduit les peuples de la terre a
recherché Dieu, pour Camus à l’inventer car il est choqué par cet appel a un
sens face « au silence
déraisonnable du monde ». Oui, il s’interroge sur la finitude de l’homme
et personne ne lui répond
IV La solidarité et l’action
En présence de l’absurde et de l’appel à la jouissance des
beautés du monde il aurait pu s’orienter vers une sorte de philosophie de
l’égoïsme. Puisque il n’ y a rien après la mort et que le monde est beau alors
contentons-nous d’en jouir et, pour ce faire, ne nous occupons que de nous,
dégageons nous de toutes obligations et servitudes. Par ailleurs puisqu’il n’ y
a rien après la mort et surtout pas de jugement alors tout est permis d’une
certaine façon.
Et bien pour Albert Camus c’est le contraire. Il insiste sur
la nécessité de se créer une morale à l’échelle de l’homme. L’homme doit faire
son travail, il doit essayer d’améliorer ce qui peut l’être, il doit être
solidaire des autres hommes. La solidarité c’est, je pense, un des grands
principes d’action de cet écrivain. Et dans le fond ,nous dit-il, c’est dans
l’action, dans l’amélioration de la vie que l’homme peut trouver sa joie.
Certes c’est à la fois modeste et toujours à recommencer mais il n’ y a pas
d’autres solutions et alors on peut imaginer « Sisyphe
heureux » »
Cet exigence de la solidarité elle est enfouie profondément
dans le caractère même d’Albert Camus qui a toujours aimé l’amitié sincère, la
camaraderie. On se souvient que ces moments de bonheur sont ceux qu’il a passé
avec des équipes que ce soit les comédiens quand il s’adonne au théâtre ou des
ouvriers typographes quand il est journaliste et qu’il aime descendre au
marbre. Et, enfin, ne nous a-t-il pas dit que tout ce qu’il avait appris de
sérieux c’est en jouant au foot ?
Camus n’est pas un penseur solitaire et c’est pourquoi il a
souffert lorsque le milieu parisien après l’avoir accueilli lui a battu froid.
Et dans son discours de réception du Prix Nobel il est encore
revenu sur cette solidarité nécessaire et notamment avec les personnes
persécutées injustement.
« Je ne puis vivre
personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de
tout. S’il l’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne
et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à
mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand
nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des
joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet
à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a
choisi un destin d’artiste parce qu’il se sentait diffèrent, apprend bien vite
qu’il ne nourrira de son art, et sa
différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans
cet aller-retour perpétuel de lui aux autre, à mi-chemin de la beauté dont il
ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est
pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ;ils s’obligent à comprendre
au lieu de juger. Et s’ils ont un parti
à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le
grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge mais le créateur qu’il soit
travailleur ou intellectuel. »
V. Le rejet des
idéologies
On voit déjà se dessiner la pensée de Camus mais il faut
absolument compléter ces idées par l’une de celle qui, a mon sens, domine sa philosophie :
le rejet des idéologies, des systèmes complet qui veulent décrire la totalité
du monde. Il ne serait pas loin de
penser avec Shakespeare qu’ ‘il y a plus
de choses dans le monde et sur la terre que dans toute la philosophie »
Une grande partie de ses écrits sont une condamnation du
totalitarisme et de la violence qui lui est nécessaire. Bien sûr le
totalitarisme nazi cela va sans dire qu’il condamne tout en respectant le
peuple, allemand dans ses Lettres a un ami allemand, mais aussi et c’est , à
l’époque assez peu répandu, le totalitarisme communiste.
Dans l’Homme révolté il analyse les mécanismes du totalitarisme et les condamne fermement.
Cela lui a valu, on le sait , le mépris et le rejet d’une grande partie de
l’intelligentsia et des sartriens en premier lieu. Mais c’est à lui que l’avenir a donné raison et il a été
d’ailleurs la raison d’espérer de beaucoup dans les pays touché par le
communisme. Dans le fond il a approfondi les idées qu’avait déjà exprimé André
Gide dans son « Retour d’URSS ».
Mais ne soyons pas dupe. Il n’est pas pour autant fervent défenseur
du libéralisme et quand la droite veut se l’approprier comme c’est le cas de
nos jours elle se trompe car si Camus refuse le communisme parce qu’il porte
atteinte aux libertés et qu’il est amené à user de violence, il ne soutient
pas, pour autant le libéralisme et c’est ce qui a fait que les libertaires, les
anarchistes ont retrouvé chez Camus des idées à eux.
Comme on le voit il n’ y a pas chez Albert Camus de grandes
théories car il est bien conscient de la complexité du monde qui ne peut se
laisser renfermer dans une idéologie, mais il y a des principes qui permettent
aux hommes de faire face au monde : absurdité de notre destin, solidarité nécessaire
entre les hommes, nécessité de préserver la liberté et rejet de la violence.
C’est peu diront certains . Je crois que c’est au contraire beaucoup et la
popularité qu’il connaît de nos jours est la preuve que les lecteurs ont
compris son message et y adhérent.
Face a toutes les tentations totalitaires qui veulent faire
le bonheur des hommes en créant nous disent ces idéologies « un nouvel
homme » il insiste pour que l’homme soit respecté et que sa liberté de
jouir du monde lui reste acquise.