J'ai participé à un colloque organisé par la Faculté des Lettres de Sfax les 11 et 12 novembre dernier avec comme sujet: Les modernités littéraires d'Albert Camus. Ce colloque s'est déroulé sous la houlette du Professeur Mustapha Trabelsi et il a été ouvert par une conférence introductive de Madame Martine Mathieu-Job, universitaire et auteure de plusieurs livres dont un très bel hommage à Camus sous le titre :"Mon cher Albert. Lettre à Albert Camus" dont j'ai rendu compte ,ici, dans ce blog.
J'avais été chargé d'évoquer le travail de journaliste d'Albert Camus et je fournis donc ci-dessous , d'une part la vidéo de mon intervention mais aussi le texte plus complet que j'avais rédigé pour l'occasion.
L’étude des articles d’Albert Camus au
regard des « modernités littéraires » de cet auteur, m’a paru un
sujet difficile tant la notion de modernité est difficile à cerner et encore
plus quand elle est au pluriel.
J’ai, en effet, du mal à placer le curseur
de la modernité et à en définir clairement les critères.
L’exposé introductif magistral de Madame
Martine Job ne m’a pas rassuré, tant elle a montré la complexité de la notion
de modernité.
J’ai donc pris le parti de me poser deux
questions simples :
Evoquer Albert Camus journaliste dans le
cadre d’une recherche de la modernité de Camus c’est, dans le fond, se
demander si Albert Camus a encore quelque chose à nous dire et à nous apprendre
sur le journalisme et comment il regarderait nos médias d’aujourd’hui.
Je n’entrerai pas dans le détail de sa
carrière de journaliste. Elle est bien connue mais je dirai simplement qu’il a
été journaliste toute sa vie; puisqu’il a commencé très jeune, à 25 ans à Alger
Républicain et a écrit pratiquement jusqu’à sa mort, à Combat, à l’Express, à
Paris Soir; et qu’il a connu et pratiqué toutes les branches du
journalisme : les faits divers, ce que l’on appelle communément « les
chiens écrasés », puis les enquêtes de fond, puis les chroniques
judiciaires, les éditoriaux politiques, les chroniques littéraires et
artistiques (la peinture) et qu’il a même occupé le poste de rédacteur en chef.
Aucun poste dans un journal ne lui est
étranger. Ces expériences ont nourri son œuvre romanesque et il y a un
journaliste dans l’Etranger et dans la Peste.
Dans chacune de ces facettes du
journalisme, il a excellé et est devenu un modèle. Ses textes, pourtant
circonstanciels, peuvent encore être lus de nos jours avec profit. Ce qui, vous
le reconnaitrez, n’est pas si fréquent, les articles des journalistes perdant,
aujourd’hui, de leur intérêt quelques jours après leur parution.
Essayons donc de dire plus en détail ce
que Camus peut apporter au journalisme d’aujourd’hui. Autrement dit, quelles
leçons peut-on tirer de son travail.
Camus a toujours réfléchi sur ce métier.
Il a donné quelques pistes et a mis en avant une conception élevée du
journalisme.
Dans un texte du 31 aout 1944 il écrivait
ceci :
« Notre désir, d’autant plus fort
qu’il était muet, était de libérer les journaux de l’argent et de leur donner
un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de
meilleur en lui. Nous pensions qu’un pays vaut souvent ce que vaut sa presse.
Et s’il est vrai que les journaux sont la voix d’une nation, nous étions
décidés, à notre place et pour notre faible part, à élever ce pays en élevant
son langage. »
Il y a dans ce texte fondateur trois
exigences : celui de la liberté (les journaux ne doivent pas être
assujettis à l’argent), le souci de la vérité et celui, non moins important du
langage, de la langue mais également l’engagement pour, écrit-il, « mettre le
public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lui ».
Par conséquent : liberté, vérité, langage
et engagement.
Commençons par la vérité.
Vaste question car comme le disait André
Gide : « J’aime ceux qui la cherchent, je n’aime pas ceux qui
la trouvent » ; et il voulait dire par là que la vérité est
souvent difficile à trouver, qu’elle nécessite un effort et surtout celui de se
soustraire aux idées préconçues, aux idéologies, aux pressions de toutes
sortes.
Camus n’était pas loin de partager cette
crainte et il plaçait le doute au centre de son comportement. Il dit
d’ailleurs : « s‘il y avait un parti des gens qui doutent, je serai de ce
parti ».
Albert Camus a donc toujours effectué un
travail d’enquête, de recherche pour éviter de se tromper.
Il faut rappeler ici ses mémorables 11
articles sur la Misère en Kabylie qui sont nourris de faits, de choses que
Camus lui-même a constaté alors qu’il sillonnait la Kabylie en car.
Ces articles sont également nourris de
chiffres, de statistiques, d’études des rapports et documents du pouvoir
colonial; et Albert Camus confronte ses documents avec la réalité qu’il voit.
Dans sa recherche de la vérité, il ne se
laisse pas avoir par la propagande coloniale. Il a le courage (car la
vérité nécessite bien souvent du courage) de dire haut et
fort les injustices criantes qu’il constate. Cela lui vaudra d’être chassé de
son pays !
Et n’oublions pas que ces articles
demeurés fameux, ont été écrit par un jeune de 25 ans qui débutait dans la
presse !
Là où on le voit encore dans la recherche
de la vérité, c’est dans son travail de chroniqueur judiciaire.
Il ne se contente pas de rapporter dans
ses articles ce qui se passe au procès, les péripéties de la procédure ... Il
se plonge entièrement dans le dossier de l’affaire et refait l’enquête. Il
juge l’enquête et la façon dont elle a été menée.
Cette recherche de la vérité, cette
volonté de ne pas en rester aux apparences, le conduisent à découvrir des
erreurs graves; au point que l’on voit, au fil des articles de Camus, la vérité
se renverser et que certains des poursuivis ont dû leur acquittement au travail
du journaliste Camus.
Dans l’affaire Hodent il montre toute sa
capacité d’enquête. Michel Hodent est un petit fonctionnaire de la Société de
prévoyance de Tiaret près d’Oran. Il est accusé d’avoir détourné des fonds
issus de la vente de blé au détriment des cultivateurs.
Il est aussitôt incarcéré et poursuivi
sans qu’il existe de réelles preuves de sa culpabilité.
En réalité Hodent a simplement voulu
protéger les pauvres agriculteurs arabes de la spéculation. Il est victime des
« profiteurs » gros colons et de quelques Caïds musulmans de la zone
qui évidement profitaient de la spéculation et ont voulu l’éliminer.
Hodent, incarcéré, adresse une lettre à
Alger Républicain et Albert Camus va s’intéresser à son affaire, va faire
lui-même l’enquête, va rechercher des témoins.
Ses chroniques sont de journalisme
d’investigation et pas simplement le récit des audiences.
Il met toute sa force dans la bataille. Le
premier article est publié le 10 janvier 1939 et le dernier le 23 mars 1939. Et
les titres de ces articles, disent tout de ce combat pour la vérité :
- « Depuis quand poursuit-on la
conscience professionnelle ? ».
- « L’affaire Hodent. Un homme juste
plaide pour un innocent ».
Dans un autre article paru le 4 février
1939, il expose avec fermeté des arguments de poids : « Un
homme est jeté en prison pour un crime qui n’en serait pas un s’il l’avait
commis. Ce que par surcroit, il n’a pas fait ».
« Il est gardé sur des témoignages
qu’un simple inventaire démolit. Il est maintenu sur une équivoque dont il
n’est pas responsable, grâce à une accusation qu’aucune preuve humaine, sinon
l’injustice et la haine, ne peut fonder; pendant que les sympathies qu’il
éveille, sont dispersées à coup de mensonges gratuits. »
Le 10 janvier 1939 il avait adressé une
lettre ouverte au Gouverneur Général et cette lettre fit grand bruit.
Je me suis un peu étendu sur cette affaire
Hodent parce qu’elle montre bien le travail de Camus journaliste. Mais il a agi
de la même façon dans d’autres affaires judiciaires : celle des
incendiaires d’Auribeau et celle du Cheik El Okbi dont il obtiendra aussi
l’acquittement. Le Cheik El Okbi lui en sera toujours reconnaissant et lorsque
Camus à Alger prononcera son célèbre appel pour une trêve civile, le Cheik El
Okbi, malade, tiendra à y assister et sera amené dans la salle sur une civière.
Dans ces affaires, Albert Camus se hisse
au niveau de Voltaire, de Zola et de Victor Hugo.
La vérité, il est donc en permanence à sa
recherche. Il aurait sans doute peu apprécié le monde des réseaux sociaux où circulent tant
de contre-vérités, de fake-news, d’utilisation abusive de faits faux ou même
trafiqués.
Dans un excellent article de la Revue des
Deux Mondes de septembre 2019, Robert Kopp écrit :
« A l’époque où les mensonges d’Etat
et des fake-news envahissent toujours plus tous les médias et se répandent sur
les réseaux sociaux, il est urgent de méditer son exemple, voire de s’en
inspirer. »
Le livre d’André Perrin : Postures médiatiques. Chroniques de
l’imposture ordinaire est un bonheur de lecture, tant il excelle à mettre en
exergue le deux poids deux mesures permanent, l’approximation et même les
fake-news éhontées des donneurs de leçons professionnels qui nous admonestent
sur les ondes quotidiennement
Il écrit aussi que « l’objectivité n’est pas la neutralité »; et
nous aurons à montrer qu’il a toujours été un journaliste engagé.
La vérité il faut donc la chercher en
permanence mais il faut aussi savoir la dire, la faire passer.
Rappelons ici, cette phrase souvent citée
de Camus et qui, selon moi devrait être la devise du journalisme et plus
généralement de tous les intellectuels :
« Mal nommer les choses c’est
ajouter aux malheurs du monde. »
Pour Camus la première règle est donc de
bien nommer les choses, c’est-à-dire être précis, clair et net .
Cette phrase peut paraître anodine mais il
n’en est rien car elle permet de distinguer la vérité, de l’information de la
propagande. Je voudrai vous donner deux exemples :
- Naguère, au moment de la guerre
d’Algérie, la France qualifiait la situation par la formule « les
évènements ». Elle nommait mal les choses et ne voulait pas utiliser la
seule expression vraie : la guerre.
De même de nos jours lorsque M. Poutine
envahit l’Ukraine, un pays indépendant; et parle « d’opérations
spéciales » ; alors que là encore, on est en présence d’une
guerre !
Par ailleurs pour bien faire comprendre la
vérité d’une situation, Camus est d’abord factuel mais il est aussi dans
l’appel aux sentiments, à l’émotion du lecteur. Il s’adresse donc non seulement
à la raison mais aux sentiments des lecteurs.
Un universitaire portugais a étudié les
articles de Camus et montré qu’il fait très souvent appel aux émotions. Il
montre sa propre émotion et fait appel à l’émotion de son lecteur.
Cela est vrai dans les chroniques
judiciaires. Par exemple, dans l’affaire Hodent, il consacre tout un article à
la détresse de la femme d’Hodent. Mais c’est aussi vrai dans ses 11 articles
sur la Misère en Kabylie où après avoir présenté les faits,
les chiffres dans leur sécheresse, il appelle son lecteur à l’émotion.
Permettez-moi de vous lire un extrait de
ses reportages Misères en Kabylie qui fait bien apparaître ce
mécanisme. Après avoir décrit des faits, des statistiques voilà ce qu’il
écrit :
« Pour aujourd’hui j’arrête ici cette
promenade à travers la souffrance et la faim d’un peuple. On aura senti du
moins que la misère ici n’est pas une formule ni un thème de méditation. Elle
est. Elle crie et elle désespère. Encore une fois, qu’avons-nous fait pour elle
et avons-nous le droit de nous détourner d’elle ? Je ne sais pas si on
l’aura compris. Mais je sais qu’au retour d’une visite à la « tribu »
de Tizi Ouzou, j’étais monté avec un ami kabyle sur les hauteurs qui dominent
la ville. Là nous regardions la nuit tomber. Et à cette heure où l’ombre qui
descend des montagnes sur cette terre splendide apporte une détente au cœur de
l’homme le plus endurci, je savais pourtant qu’il n’y avait pas de paix pour
ceux qui, de l’autre côté de la vallée, se réunissaient autour d’une galette de
mauvaise orge. Je savais aussi qu’il y aurait eu de la douceur à s’abandonner à
ce soir si surprenant et si grandiose, mais que cette misère dont les feux
rougeoyaient en face de nous mettait comme un interdit sur la beauté du
monde. »
Chroniques Algériennes. Collection Folio
p. 40 et 41
Rechercher la vérité, bien la dire mais
aussi faire de cette quête de vérité un combat pour des valeurs. C’est tout le
problème de l’engagement. Camus a été un journaliste engagé. A ce sujet il a
écrit : « L’objectivité n’est pas la neutralité. »
Camus était indiscutablement un
journaliste engagé, engagé dans une lutte pour la justice, justice pour les
individus mais aussi justice sociale. Mais son engagement très clair ne le
faisait pas, pourtant dévier d’une éthique de vérité. Il estimait qu’il devait
être capable d’envisager une pensée opposée à la sienne, de dialoguer et de donner même
raison à l’adversaire si celui-ci avait raison. Il pensait que l’adversaire de
ses idées n’étaient pas un ennemi et que le dialogue avec lui devait toujours
être possible.
Il s’est toujours refusé à une lecture
manichéenne du monde. Il écrit ceci qui est d’une grande modernité :
« La polémique consiste à considérer
l’adversaire en ennemi, à le simplifier et à refuser de le voir. Devenus aux
trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous vivons dans un monde
de silhouettes … ».
Quelle différence avec les vitupérations
et les insultes que l’on trouve aujourd’hui sur la toile !
Sur l’engagement de Camus, je ne peux que
vous conseiller de lire l’article de l’universitaire portugais : https://journals.openedition.org/carnets/1516
Albert Camus s’est toujours posé la
question de savoir si l’engagement en faveur de certaines causes ou de
certaines valeurs ne conduisait pas à une absence d’objectivité et quels
rapports devaient se faire entre la vérité et l’engagement.
Camus, tout en étant très engagé, ne perd
jamais de vue la nécessité du dialogue, la nécessité d’examiner les idées de
l’autre, d’être à son écoute. Or cette exigence de Camus on a du mal à la
retrouver dans la presse actuelle qui n’est trop souvent que dans la caricature
de l’autre.
Entrer dans les vues des autres ne signifie
pas pour lui, capituler, céder. Il l’a montré de manière très intéressante dans
ses Lettres à un ami Allemand dans lesquelles il dialogue
vraiment avec l’ennemi, entre dans ses vues et essaye de le convaincre, sans
rien céder de ses convictions profondes.
Dans le fond, cette attitude consiste à
refuser les idéologies qui emmurent la pensée et conduisent à penser par
reflexe, plutôt que sainement. Puisqu’une idée vient d’un bord, d’un
parti, elle est nécessairement mauvaise pour l’autre bord. Cela, c’est
absolument le contraire de l’attitude d’Albert Camus qui a écrit cette phrase
forte : « Si la vérité était à droite, je serai de droite. »
N'oublions pas que c’est celui qui, avec
Anna Arendt, a le mieux pensé les totalitarismes, c’est-à-dire les idéologies
qui interdisent la liberté de penser. Cela reste une leçon des plus nécessaires
et des plus modernes dans notre monde contemporain qui flirte avec les
totalitarismes.
Dans certains cas où la situation
politique est tendue, les journalistes ont du mal à trouver ce passage étroit
entre engagement et vérité. Ils ont du mal à examiner avec objectivité les
arguments de leurs adversaires qui sont d’emblée discrédités.
Si vous me permettez, je crois que la
presse de votre pays (La Tunisie : mais pas qu’elle), est aujourd’hui dans
cette situation et aurait intérêt à s’inspirer de Camus.
Allons plus loin. Tout cela peut se
résumer dans l’idée de nuance.
Dans un livre récent que je ne saurai trop
vous conseiller : « Le courage de la nuance », Jean
Nussbaum consacre un long développement à Camus.
Il constate d’abord que, notamment sur les
réseaux sociaux, les discussions sont tout sauf nuancées et qu’elles
relèvent plus de l’anathème et de l’exclusion que d’un réel dialogue.
Que l’on examine aujourd’hui les tenants
de la culture wok, de certains
écologistes, de l’éco-féminisme et on comprendra ce qu’est l’absence de nuance
et de dialogue ! Cette radicalité, vouée selon moi tôt ou tard à l’échec,
aurait heurté Camus et son sens de la nuance et du respect de l’autre.
L’auteur nous amène aussi à
réfléchir sur cette attitude très dangereuse pour la pensée qui consiste à
dire : « Vous ne pouvez pas dire cela car vous faites le jeu de
l’ennemi » !
Cela a été malheureusement le cas de
beaucoup d’intellectuels qui ont fermé les yeux sur les crimes des régimes
communistes pour, comme le disait si bêtement Sartre, « ne pas désespérer
Billancourt » , c’est-à-dire la classe ouvrière !
Au prétexte de ne pas faire le jeu de
l’adversaire, on est conduit trop souvent à ne pas voir ou à ne pas dire ce
qu’il faudrait voir ou dire !
Jean Nussbaum rappelle donc ces deux
phrases que j’ai déjà citées de Camus :
« S’il y avait un parti des gens
qui doutent, j’en ferai partie. » et aussi « Si la vérité
était à droite, je serais à droite ».
Dans le fond, Albert Camus qui admirait la
civilisation grecque et romaine, adhérait à cette adage : « In medio stat
virtus ». Ce qui signifie que la vertu, l’intelligence et le bonheur se situent non
aux extrêmes mais au milieu.
Alors, ce sens de la modération, du juste
milieu, certains diront que ce n’est pas « sexy ». Il est vrai qu’il
est plus facile de briller en soutenant des thèses extrêmes, excessives.
Enfin Albert Camus sait faire apparaître
les véritables priorités. Lorsque la bombe atomique détruit
Hiroshima, l’ensemble des commentateurs journalistes mettent tous en avant la
grande avancée technique qui a permis cette bombe. Camus était le
seul à attirer l’attention sur le fait que l’on est entré dans un monde où la
destruction de la terre est devenue possible.
Je voudrai conclure en évoquant ce qui
dans notre modernité n’aurait probablement pas plu du tout à Albert Camus.
Je pense qu’il aurait détesté nos réseaux
sociaux, leurs affirmations sans vérification, leurs polémiques incessantes et
sans nuance, leur violence parfois, l’esprit de meute et l’anonymat propice à
tous les excès.
Il aurait sans doute pu écrire à ce sujet
ce qu’il écrivait de la société de son époque :
« L’assez affreuse société
intellectuelle où nous vivons, où on se fait un point d’honneur de la
déloyauté, où le reflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coups de
slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour
l’intelligence. »
Je pense qu’il aurait également
détesté notre société de transparence qui veut tout savoir du comportement des
hommes publiques en quelques domaines que ce soit; et cela, sans respecter le
droit absolu, selon moi, au secret de sa vie. Cette transparence qui
pousse les journalistes à fouiller dans la vie des gens, à les jeter en pâture
aux lecteurs; c’est-à-dire à les détruire psychologiquement avant que la
Justice bien souvent ne les blanchisse.
Il y a indiscutablement aujourd’hui un
réel problème dans l’attitude de certains journalistes qui traquent les
défaillances de certains, en font des sujets, s’affranchissent des règles
juridiques de protection que l’on a mis des millénaires à établir. Camus aurait
ces chasses aux sorcières, lui qui connaissait la faiblesse humaine.
En tant que journaliste, il s’est attaqué
à des politiques mais pas aux hommes.
Enfin, lui qui mettait la réflexion au
premier rang de ses préoccupations, il n’aurait pas apprécié, non plus, les
chaînes d’information en continue où de petits évènements sans importance, font
La Une pendant quelques heures et où l’on passe ensuite à autre chose.
Et concluons par cette phrase de Camus qui
est encore d’une totale actualité, sans doute même davantage qu’à son époque
:
« Loin de refléter l’état d’esprit
du public, la plus grande partie de la presse française ne reflète que l’état
d’esprit de ceux qui la font. A une ou deux exceptions près, le ricanement, la gouaille
et le scandale forment le fond de notre presse.
A la place de nos directeurs de journaux,
je ne m’en féliciterais pas : tout ce qui dégrade en effet la culture,
raccourcit les chemins qui mènent à la servitude.
Une société qui accepte d’être distraite
par une presse déshonorée et par un millier d’amuseurs cyniques, décorés du nom
d’artistes, court à l’esclavage, malgré les protestations de ceux-là mêmes qui
contribuent à sa dégradation. »
Que rajouter de plus ?
Et voici la vidéo de cette communication.