mardi 15 mars 2022

Histoire de la guerre d'Algérie: Les documentaires

 

Pour le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie Arte et France 2 ont diffusé deux documentaires.

Sur Arte le documentaire réalisé par Raphaëlle Blanche  

et sur France 2 celui de M.Benhamou et Stora.

 J’ai évidemment regardé les deux avec intérêt et je dois dire que, pour moi, il n  y a pas photo : celui de Benhamou et Stora est beaucoup plus intéressant et complet que celui d’Arte.

En ce qui concerne celui d’Arte voici ce que j’écrivais aussitôt après sa diffusion. C’est un documentaire intéressant en raison de ces nombreux témoignages qui donnent une vision humaine à ce conflit.

Je lui reprocherai cependant de ne pas donner suffisamment de cadre large qui permette de se faire une idée générale de la période.

Ma première réaction est que ce documentaire est assez peu documenté et- je pense que ce n’est pas faute d’avoir la documentation- sur le terrorisme algérien.

On nous présente des actions de guerre contre l’armée française et contre les administrations et cela est normal mais on oublie -où en tous cas l’on minimise beaucoup trop, les actes terroristes contre les populations civiles et donc contre des innocents, terrorisme qui a été important, et théorisé.

Terrorisme qui a touché aussi une partie des algériens qui n’obéissaient pas aux mots d’ordre du FLN ou qui faisaient partie d’autres organisations. Le massacre de Melouza n’est pratiquement pas évoqué ! Terrorisme contre les civils relancé régulièrement pour attiser la haine dès que le FLN était en difficulté.

Or cet aspect d’abord de l’instauration d’un parti unique par la force du terrorisme et du terrorisme contre les civils donne à cet guerre sa véritable nature et a, d’ailleurs été à la source de toutes les dérives du pouvoir après la guerre, dérives dont souffre encore l’Algérie d’aujourd’hui.

Dès lors faire l’impasse sur ces questions c’est ne rien comprendre ni au passé ni au présent.

Tout cela je ne le dis absolument pas pour diminuer les fautes gravissimes du pouvoir français, sa violence , son rejet de ses propres valeurs, l’utilisation de la torture et sa faute initiale de l’invasion d’un pays et de son assujettissement par la force brutale, l’accaparement de ses terres, sur l’attitude criminelle de l’OAS, de la bêtise des petits européens qui ont soutenu le pire mais je considère que tout doit être dit et, minimiser d’un côté, c’est ne pas faire la réelle histoire tragique de cette guerre.

Au total ce documentaire reste intéressant par le côté humain des témoignages mais n’est pas d’une grande utilité pour comprendre historiquement cette histoire complexe.

Je vais maintenant regarder le documentaire de Stora et Benhamou et j’en dirai aussi mon analyse.

 

Le documentaire de Benhamou et Stora a le mérite (très important) de reprendre toute la période coloniale donnant ainsi à voir toute l’histoire et non sa dernière séquence et d’aborder clairement, sans commentaires inutiles, les actions de toutes les parties à cette guerre.

On quitte ce documentaire complétement atterré, confondu par l’attitude du pouvoir , celle des européens d’Algérie. Toutes ces parties se sont comportés de manière à la fois totalement imbécile, inintelligente et injuste, tournant le dos, dés le début et tout au long de la longue période, aux valeurs de la France et  avec une violence et une injustice condamnable qui ne pouvaient que conduire à l’échec et à la solution que l’on a connue.

Tous les partis politiques se sont déshonorés dans cette entreprise de colonisation et dans la façon dont elle a été menée : Que les socialistes (F. Mitterrand, Robert Lacoste , Guy Mollet) se soient comportés ainsi en dit long sur la dérive, déjà ,à l’époque des socialistes !

 Le seul qui sauve l’honneur des politiques est Mendes-France mais il est vite écarter !

Et pourtant quelques hommes et notamment Albert Camus ont alerté de manière forte, claire, convaincante sur les dérives inacceptables et sur les solutions. Tout au long du documentaire on se réfère à ce qu’a dit et écrit Camus et il est clair qu’à chaque grande étape il a donné un point de vue juste qui malheureusement n’a pas été suivi, loin de là.

1939 dans Misères en Kabylie il attire l’attention sur l’injuste traitement infligé aux algériens. Il n’a que 22 ans ! et déjà , relisez ces textes il dit tout.

1939 il  adhère au parti communiste non pas parce qu’il est communiste mais parce que c’est le seul parti qui soutient la cause des algériens. Il quitte ce parti le jour où , sur ordre de Moscou, le parti s’éloigne des algériens.

1945 il condamne la répression qui a eu lieu à Sétif et en montre les horreurs et les excès et cela après que les algériens se soient battus pour la France !

Il soutient clairement les mouvements celui de Messali Hadj, les idées de Ferhat Abbas et s’insurge contre le traitement qui est fait à ces personnages politiques, alors modérés, montrant que la répression contre eux ne fait que les grandir aux yeux de leur peuple !

Il soutient le projet Blum-Violette qui aurait pu faire évoluer la question et qui sera enterré par les politiques sous la pression des ultras.

Il montre comment ces gens ont refusé les appels du pied des nazis et pour certains ont combattu avec la France sans en recevoir la reconnaissance.

On peut dire qu’Albert Camus est le révélateur des toutes les occasions perdues, qu’il a été une grande voix qui disait la vérité et préconisait ce qu’il aurait fallu faire et, dans ce documentaire il est comme un fil rouge ,le contrepoint de toute la bêtise.

Et même là encore , alors que peut être une solution négociée aurait pu être trouvée, le détournement d’un avion avec les dirigeants de la guerre a été une autre faute considérable commise par les ultras , entrainant un regain de tension et la condamnation de la communauté internationale. Beau résultat en vérité !

Le documentaire montre aussi et c'est la différence avec celui d'Arte le terrorisme du FLN contre les civils, sa vocation totalitaire lorsqu'il fait assassiner en nombre les partisans de Messali Hadj et là encore Camus dans un texte pointe ce totalitarisme en marche. Il ne s'est pas trompe et la suite l'a amplement démontré.

Enfin pour finir la bêtise criminelle de l’OAS que certains encore aujourd’hui essayent de justifier et qui est injustifiable et qui a commis des crimes odieux .

Enfin il montre la manière choquante dont la France et De Gaule ont accueilli les européens d’Algérie et l’attitude déshonorante de la France et de de Gaule en ce qui concerne les harkis., attitude qui constitue une indiscutable tâche sur celui qu'aujourd'hui tout le monde honore.

On sort de ce documentaire en se disant que outre la violence et la spoliation ce qui a été le plus dommageable dans tout cela c’est l’infini bêtise d’une majorité de pieds noirs et du pouvoir politique qui ont tourné le dos au bon sens et à la justice. Voilà où tout cela les a mené ! Une véritable tragédie grecque où l’on voit le malheur en marche de manière inexorable. Mais ici ce ne sont pas les Dieux ou le destin qui sont en cause mais les hommes qui se refusent à appliquer leurs propres valeurs et qui gèrent tout cela sans intelligence et sans cœur.

Là encore Albert Camus avait, semble-t-il compris cela et après son appel pour une trêve civile en 1956 il s’est arrêté d’écrire car disait-il a son maître Jean Grenier : «  on écrit pas pour dire que tout est fichu…. » On ne l'a pas écouté quand il était temps.

Ce documentaire restera , à n’en pas douter, un document essentiel pour désormais évoquer l’Algérie et la guerre d’indépendance.