L’ouvrage d’Antoine Lilti : « L’héritage des
Lumières » , publié par Les Hautes Etudes en sciences sociales avec
Gallimard et Le Seuil en 2019, est une étude sur le concept des Lumières et sur
ce qu’il en reste dans notre monde contemporain. C’est un ouvrage savant,
universitaire qui creuse cette idée des Lumières dans l’histoire.
Les idées des lumières sont nées, chacun le sait, au XVIII°
siècle avec les travaux des philosophes : Voltaire, Rousseau, Diderot,
D’Alembert, Condorcet et d’autres encore et ces idées ont dominé le monde
pendant deux siècles. Il faut cependant préciser que certains ont fait naître
ces idées au XVII° siècle dans les Pays bas et dans l’environnement de la
pensée de Spinoza. Nées en Europe elles ont été contestées d’abord par un
certain nombre de philosophes marxistes avec leur distinction entre les droits
formels et les droits réels, les lumières selon eux n’ayant soutenu que les
droits formels.
Mais les attaques les plus rudes ont été portées par les
études post-coloniales qui ont voulu montrer que les principes des lumières ont
été les instruments de la domination coloniale de l’occident et par certaines feministes
Ces attaques sont encore prégnantes dans une partie du monde
où certains développent avec succès l’idée que l’Occident et ses valeurs (les
idées des Lumières) est devenu décadent, consumériste, matérialiste et
jusqu’à » immoral ». On reconnaitra là un des angles d’attaque des
islamistes.
Que faut-il penser de tout cela ? Les Lumières
sont-elles dépassées ?
Si l’on veut résumer la philosophie des Lumières on peut dire
qu’elles ont mis en avant trois grands principes :
-La prédominance de la raison sur la foi. Il faut se
souvenir qu’elles sont nées dans une époque où la religion dominait et voulait
tout régenter (Monarchie de droit divin, enseignement religieux, volonté
dominatrice des religions avec combat entre elles au moment du protestantisme)
-Volonté du progrès que l’on croyait sans fin avec le
développement des sciences et des techniques
-Elaboration et développement des droits de l’homme,
c’est-à-dire de l’individu par rapport à la famille et à la société.
Les critiques des Lumières nous ont d’abord dit que les
droits humains soutenus par les Lumières étaient le plus souvent des droits
formels et que dans la réalité, c’est-à-dire dans les droits réels ils
n’étaient pas appliqués. Il y a du vrai dans cette critique et l’on sait bien
que même de nos jours les droits de l’homme sont toujours à gagner et que
c’’est un combat. Mais ce n’est pas parce qu’une philosophie n’est pas appliquée
qu’il faut la condamner.
La critique venue des « post coloniaux » est plus
importante. Elle consiste à montrer que les Lumières ont été un instrument de
domination des Européens sur certaines parties du monde. C’est à travers l’idée
de civilisation que certains ont pu à la fois dénigrer certaines cultures et
vouloir imposer la leur.
Ces critiques sont cependant contestables pour plusieurs
raisons :
-D’abord parce qu’il est faux que les créateurs des Lumières
aient été partisans de la colonisation ou de l’’esclavage. L’ouvrage de M.
Lilti cite un certain nombre de textes d’auteur du XVIII° siècle et non des
moindres qui condamnent avec une force rarement vue la colonisation et ses
crimes, l’esclavage et appellent même à la révolte les populations soumises à
ces crimes. (p.63-68-74)
-Ensuite parce que les Lumières ont été pour de nombreux
acteurs de la décolonisation une arme intellectuel par laquelle ils s’armaient
contre l’occupant le renvoyant à sa propre philosophie. Un homme comme
Bourguiba combattant de la décolonisation tunisienne utilisait les droits de
l’homme et les idées des Lumières pour lutter contre les français et il demeura
fidèle à ces idées. Il ne fut pas le seul dans ce cas.
En réalité il me semble que l’on peut reprocher aux
« post coloniaux » qui critiquent les Lumières de jeter le bébé avec
l’eau du bain !
Est-ce à dire que les idées des Lumières telles que nous les
avons résumés plus haut doivent être abandonnées ? Evidement non car elles conservent une valeur
universelle pour peu qu’on veuille bien les nuancer.
Ainsi la prédominance de la raison sur la foi me
paraît une nécessité absolue à condition toutefois de respecter le désir de
croire qui est très fort chez l’homme. On a d’ailleurs vu, à travers
l’expérience désastreuse du communisme que l’interdiction des Eglises et de la
religion n’avait jamais réussi à éteindre la foi et le besoin de religion et
que dès la fin du communisme les Eglises se sont, à nouveau, développées.
La solution née du régime de laïcité me paraît la bonne solution
car elle réunit les deux nécessités : lutter contre la volonté totalitaire
des religions et cependant assurer la liberté de la foi.
De même l’idée de progrès et la nécessité de
développer les connaissances et les sciences me semblent nécessaires mais il ne
faut pas que cette idée de progrès permanent donne aux hommes l’idée qu’ils
sont tout puissants et les meilleurs de l’Univers. Le développement des idées écologiques,
la pensée selon laquelle après la pandémie de corona virus il fallait revoir
notre mode de vie à la baisse, l’idée d’une consommation plus raisonnable et
plus durable, la protection de la nature et des animaux sont des idées utiles
et qui doivent assagir cette idée de progrès. Nous devons considérer que quel
que soit la puissance de la pensée humaine, l’homme n’est qu’un élément de
l’ensemble et qu’il ne doit pas accaparer des richesses du monde à son seul
profit.
Enfin les droits de l’homme sont de toute évidence à
développer et à faire respecter partout car il me semble évident qu’ils
correspondent à un désir de tout homme sur la terre : pouvoir penser et
s’exprimer librement, pouvoir croire ou ne pas croire, pouvoir aller et venir
librement. Et d’ailleurs si les droits de l’homme ne sont pas respectés partout
dans le monde (loin de là !) il faut remarquer que même les dictateurs
font souvent référence dans leurs Constitution aux droits de l’homme en une
sorte d’hommage qui ne les engage pas plus avant !
L’ouvrage se poursuit par l’étude d’une question qui a
captivé les intellectuels du XVIII° siècle : Peut-on éduquer le peuple,
comment le faire et faut-il des dirigeants qui impulsent les idées de
progrès ?
Les écrivains s’adressent-ils a tout le peuple ou à une
élite ? Quel est le rôle de l’éducation, question sur laquelle s’est
penché Condorcet ? Faut-il des despotes éclairés ?
Au total un livre savant mais qui permet de donner à l’idée
des Lumières une consistance alors que l’on se contente trop souvent de les
évoquer sans savoir vraiment a quoi elles correspondent.
Je garde la conviction que cette élaboration des idées des
Lumières a été un moment crucial de la pensée et que les grands principes qui
ont alors été élaborés restent parfaitement valables et nécessaires pour
assurer autant que faire se peut le bonheur des peuples. On lira avec intérêt cet entretien avec une romancière noire qui dit juste a propos des Lumières et également cette critique de divers ouvrages sur la question