Ce livre présenté comme un roman est en réalité une sorte d'autobiographie, une histoire de formation et surtout un magnifique éloge de la lecture. La vie de Renè Fregni , né à Marseille et y ayant vécu de nombreuses années est intéressante à plus d'un titre car c'est une sorte de roman d'éducation. Le héros a été un enfant turbulent, mauvais élève, rétif a toute forme d'autorité et qui a désolé une mère aimante et qu'il aimait pourtant beaucoup.
Il ya de belles pages sur cet amour maternelle mais qui n'a pas réussi à l'empêcher de faire ,comme on le dit, des bêtises. Evidement faisant ses "bêtises" il les regrettait aussitôt et était malheureux de peiner sa mère et il a cette phrase à la fois belle et si vrai toujours. Il vient d'être exclu de l'école: " Tête basse, sans un mot, plus discrète que le silence, ma mère allait attendre son bus ,mon livret à la main. Fallait-il que mon coeur soit de pierre pour imposer à cette femme, si douce, et qui m'aimait tant, unetelle tristesse. Ce sont les seuls regrets de ma vie et ils ne servent à rien."
On le retrouve donc en cavale ou en prison très souvent mais là n'est pas l'essentiel de ce beau livre qui est un éloge de la lecture , de la littérature laquelle va le sauver.
Il a commencé à lire grâce à un aumonier dans un quartier disciplinaire et la lecture ne le lâchera plus, il y trouvera le dépaysement, le rêve, la réalité.IL lira les grands auteurs partout où il sera. Il y aura dans sa vie des moments de grâce, des moments lumineux comme ce séjour en Corse ,à Bastia après avoir déserté de l'armée. Il faut lire ces pages magnifiques magnifique hymne à la beauté de la Corse, de la mer, de la méditerranée et de la mentalité corse.
"Je ne possédais rien, même pas un lit pour dormir, une table pour manger, une chaise pour m'asseoir. Deux chemises et mon blazer suspendus à une ficelle tendue dans la chambre. J'avais la lumière immense de la mer, l'odeur du maquis, l'eau fraîche d'une source, tous ces arbres qui allaient fleurir, des livres que je choisissais moi-même, que je comprenais maintenant. J'étais l'homme le plus riche du monde, ma liberté était sans limite....... Je vécus sur cette colline, au dessus de Bastia, dans ce dépouillement, entre la page d'un livre et celle de la mer, la plus belle année de ma vie."
De là il errera en Grèce puis en Turquie et reviendra dans a région natale à Manosque où il tentera de faire oublier qu'il est déserteur.
Puis ce sera Aix où il vivra une vie d'étudiant sans l'être vraiment et deviendra un soignant apprécié dans un hôpital psychiatrique, passera des diplômes et finira par se faire rattraper pour purger sa condamnation a trois ans d'emprisonnement pour désertion et deviendra écrivain.
En racontant ces pérégrinations il pense et évoque les livres qu'il a lu: Dostoïevski, Albert Camus et l'Etranger et Giono pour lequel il a une très grande admiration parce qu'il sait, comme personne , évoquer cette région autour de Marseille mais aussi Céline et d'autres encore.
Lire c'est aussi pour lui entendre la voix de sa mère qui, lorsqu'il était enfant, assis sur ses genoux lui lisait d'une voix tendre Les Misérables ou Sans famille.
Magnifique livre évoquant des paysages somptueux , des livres, une littérature qui l'a sauvé. En terminant ce beau roman, on se dit que ce jeune si rétif à l'autorité et qui a fait tant et tant de bêtises avait cependant un bon fond puisque la pensée de sa mère et la littérature ont réussi à lui éviter le pire et il donne à penser que même chez le délinquant apparemment le plus compromis il y a un fond positif qu'il faut savoir trouver. Ici la clé a été la littérature.
Et je ne peux pas terminer sans citer cette conclusion si émouvante de son livre:
"Je n'ai pas de bibliothèque. Les livres, je les ai ramassés partout, laissés partout. Je suis un fugitif. J'ai lu Giono dans un cachot glacé, Camus face à des champs de tabac, Dostoïevski sur les rochers de Bastia, devant la mer. J'ai découvert Jim Harrison dans la chambre d'une étudiante, Carson Mac Cullers dans un train qui longeait le Rhin.
J'ai lu sur tous les chemins, au sommet des collines, enfermé dans les cabinets de l'hôpital, adossé à tous les talus. j'ai lu dans des gares, des bus, je ne sais plus où sont tous ces livres, ils vibrent en moi, à la pointe de chaque nerf, dans chacune de mes cellules.
Je suis devenu en lisant Meursault, Raskolnikov, le Grand Meaulnes. J'aime les vagabonds, les errants, tous les picaros, Don Quichotte, Bardamu... Je marche la nuit avec Jean Genet, sur toutes les routes poussiéreuses d'Europe. Je fais partie de ce peuple anonyme des lecteurs. Chacun de nous est assis dans sa chambre, un livre à la main, et nous voyageons dans un immense rain qui n'existe pas." (p. 252)
On peut écouter, René Fregni parler de son livre dans la Grande Librairie