mercredi 27 octobre 2021

Michelle Perrot et Wassila Tamzali: La tristesse est un mur entre deux jardins

 

La tristesse est un mur entre deux jardins est le titre qu’ont donné Michelle Perrot et Wassila Tamzali à leur dialogue sur le féminisme, la France et l’Algérie. Les deux participantes a ce dialogue sont très connues, Michelle Perrot comme une immense historienne et Wassila  Tamzali pour une grande carrière à l’UNESCO où elle s’est occupé principalement du droit des femmes dans le monde. Inutile donc d’insister sur le fait qu’elles étaient parmi les mieux placées pour évoquer ces questions.

Pour ma part je connaissais surtout le très beau livre de Wassila Tamzali : Une éducation algérienne.

Je dirai d’abord que ce dialogue se place a un certain niveau et fait appel aux dernières connaissances de l’histoire, de la sociologie et, de l’anthropologie et de la philosophie et qu’il est quelques fois d’un accès peu aisé. C’est donc un livre qu’il fait lire la plume à la main en revenant quelques fois en arrière pour mieux saisir ces pensées.

J’y ai trouvé cependant de quoi alimenter ma propre réflexion notamment sur la question en Algérie où, depuis longtemps je me suis préoccupé de l’évolution du droit des femmes. Je rappelle que dés 1999,lorsque j’ai publié mon premier livre : Algérie, Algérie Que me veux-tu ? je l’ai dédié « aux  combats des femmes algériennes nécessairement victorieux ». J’avais été, en effet, choqué qu’après avoir participé à a guerre d’indépendance elles aient été ensuite reléguées loin du pouvoir et de l’égalité des droits.

Finalement je ne retiendrai que cette page (une déclaration de Wassila Tamzali) que je trouve parfaite et que beaucoup ( à gauche notamment) devrait lire.

« Je me suis heurtée plus d’une fois au théorème de Gödel,  et particulièrement en essayant de convaincre des islamistes de l’égalité et de la liberté des femmes, car il m’était impossible de sortir de leur système ; dés que j’engageais le débat, celui-ci se refermait sur moi. La première rencontre que j’ai organisée sur la mise en perspective des textes onusiens et le droit musulman, c’était à Tunis ,en 1988. J’avais été reçu par le doyen de l’Université de droit le brillant Yadh Ben Achour. D’entrée de jeu, il me dit avec une certaine mélancolie : « Vous n’arriverez à rien. » On ne peut discuter avec eux ,ils sont dans un système et ils doivent y rester, sinon, ils ne seraient pas islamistes. Il faut discuter en dehors du système de la pensée islamique. Evidemment il a raison. Plus tard,  quand la question des islamistes est devenue centrale, j’essayai de détourner mes amis et partenaires européens de l’idée de travailler avec les islamistes modérés. L’islamisme modéré n’existe pas, les musulmans modérés, oui, ceux qui acceptent, et ils sont nombreux, que les règles qui régissent les rapports des sexes ne soient pas celles de l’époque du Prophète, des prophètes. Les musulmans modérés sont laïcs. D’où ma conviction  de la nécessité absolue, impérative de la laïcisation des pays arabes et maghrébins. Seule la laïcité peut permettre et laisser se développer une pensée féministe, une organisation politique démocratique, une culture libre de tabous, et une recherche qui admettra enfin que la Terre est ronde » (p.159)

J’apprécie chez Wassila Tamzali à la fois son universalisme et le fait qu’elle montre bien que La France coloniale a violé ses propres valeurs mais dit-elle : Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ».

C’est très exactement ce qu’a fait en Tunisie le Président Bourguiba. Mais pourquoi ? Parce qu’il ne confondait pas la France coloniale qu’il combattait avec les valeurs  universelles nées en France et surtout parce qu’il était un adversaire résolu de l’islamisme. Or ce que je reprocherai à Wassila Tamzali c’est de ne pas mettre suffisamment l’accent sur le rôle absolument essentiel et déterminant que l’Islam ,consacré religion du pays, a joué sur le rejet des droits des femmes et qu’il joue encore aujourd’hui en Algérie.

Elle nous dit que l’Algérie « révolutionnaire » d’après l’indépendance a écarté les femmes ! Oui mais parce que derrière cette façade révolutionnaire et d’ailleurs utopiste il y  avait bien ancré déjà l’Islam et ses méfaits sur le droit des femmes.

                                                  


vendredi 22 octobre 2021

Roger Vétillard: La guerre d'Algérie, une guerre sainte?

 

                                 



Roger Vétillard ,professeur de médecine, est aussi un historien reconnu qui s'est intéressé à l'histoire mouvementée de l'Algérie contemporaine. Je dois avouer que, bien que m'intéressant à cette histoire je ne connaissais pas cet auteur. J'ai fait sa connaissance après qu'il se soit intéressé à l'histoire de la Compagnie Genevoise des Colonies Suisses de Sétif et , dés lors, à mon aïeul Gotlieb Ryf qui œuvra ,avec efficacité, pendant de longues années au sein de cette compagnie. De là j'appris que la famille de Roger Vétillard avait été proche voisin de mes grands parents au Faubourg des Jardins à Sétif et je me suis intéressé à ses écrits , notamment sur le 8 mai 1945 à Sétif et Guelma et donc à celui que je commente ici sur le côté religieux de la guerre d'Algérie.

Ce livre est le deuxième qu'il consacre à cette question qu'il avait déjà abordé dans: La dimension religieuse de la guerre d'Algérie (1954-1962).Prémices et conséquences. Il y revient donc de manière plus fouillée encore dans: La guerre d'Algérie, une guerre sainte?

Ce que j'ai apprécié dans ce livre c'est qu'il montre sans équivoque que dés le début cette guerre a été considéré comme un "djihad" c'est à dire une guerre pour l'Islam. Certes les Algériens luttaient, c'est évident, contre l'occupation de leur pays mais la base idéologique de ce combat a été pour une grande part la volonté de défendre l'islam et sa civilisation.

Cependant l'auteur montre que cet aspect n'a pas été perçu immédiatement et complétement car les dirigeants de cette lutte ont usé d'un double langage comme il le démontre dans les textes. La plupart et, en tous cas , la très grande majorité des dirigeants étaient musulmans et ont compris que cette idéologie religieuse était puissante pour motiver une population ,par ailleurs en grande majorité analphabète.

Mais ces dirigeants ont, par contre tenu , à l' égard du monde un autre langage, celui d'une lutte marxiste , politique et ont même laisser croire à un  la création d'un Etat moderne et ouvert. Le Congrès de la Soummam a été de ce point de vue et l'auteur le montre bien d'une très grande ambiguïté puisque dans les textes les dirigeants ont essayé de camoufler l'objectif purement arabo-islamique du combat. (p.54 et s.) L'auteur fait d'ailleurs justice du mythe selon lequel Abane Ramdane aurait été partisan d'un Etat "laïc"!

Cette attitude que l'auteur qualifie de "takya" cette manière de mentir pour arriver à ces fins qui est bien connu notamment des Frères musulmans a fonctionné puisqu' un certain nombre de personnes, ,notamment à gauche ,ont cru à ce discours moderne et ouvert pour se rendre compte, très vite, dans l'Algérie nouvelle que ce n'était évidement pas le cas.

Une partie de la gauche est tombé dans le piège et a cru comme aujourd'hui encore une partie de la gauche (décidément incorrigible) croit à cette vielle lune de "l'islamisme modéré".

Il aurait suffit de lire quelques déclarations des dirigeants ( que cite l'auteur) pour savoir que dans l'Algérie nouvelle ni les juifs ni les européens n'auraient leur place. Je crois que Camus l'avait compris, (lui qui était anticolonialiste) ce qui explique sa réticence à une indépendance dont il voyait à l'avance les ravages. Dans une lettre écrite en 1956 à Jean Grenier il écrit: "Les musulmans ont de folles exigences: une nation algérienne indépendante où les Français seront considérés comme des étrangers à moins qu'ils ne se convertissent à l'Islam."   Cette lucidité ne fut pas celle, par exemple du poète Jean Senac (Yaya El Ouarani) qui en paya le prix fort.

Il est clair qu'il était tout à fait normal, pour ne pas dire évident, que les dirigeants de la guerre utilise l'Islam pour motiver le peuple mais là où est, à mon sens le problème c'est qu'au delà de la motivation les dirigeants avaient un véritable objectif (en partie caché) de faire de ce pays un pays islamiste d'où seraient écartés tous ceux qui n'étaient pas dans cette ligne et ont utilisés des méthodes barbares propre à l'islamisme radical.

Ce que nous apprend aussi l'auteur c'est que le FLN a imposé des règles, des comportements rigoristes à la population (ne pas fumer, ne pas boire, ne pas aller dans les cinémas...ne pas fréquenter les écoles françaises.)qui sont bien un trait de l'islamisme radical dont on voit encore aujourd'hui les effets néfastes et n'a pas hésité à sanctionner les manquements de manière cruelle et atroce: nez coupé, égorgement , attentats dans les cinémas fréquentés par les algériens etc.. (p.74 et s.) ce qui, pour moi, est une marque d'infamie sur ce mouvement.

Le livre est intéressant parce qu'il cite de nombreux entretiens dont on a les sources et qui montrent très bien que pour une très grande majorité il fallait que soient exclus de l'Algérie nouvelle et les les juifs, présents pourtant depuis si longtemps et les Européens! 

Ceux qui apportèrent leur soutient au FLN ne s'en rendirent compte qu'après et là encore l'auteur cite beaucoup de ceux qui se sont trompés sur les objectifs véritables des dirigeants de la Révolution. Il suffit de citre Pierre Vidal-Naquet, Jean Daniel et d'autres.

Inutile de dire que ce constat et ce récit pèse encore de tout son poids dans l'actualité de l'Algérie même si, on peut voir apparaitre timidement, dans une partie de la jeunesse de ce pays une volonté d'aller vers un pouvoir plus laïc. Doit-on y croire? Je ne sais.

mardi 19 octobre 2021

Patrick De Meerleer: Louis Germain: Instituteur et père spirituel d'Albert Camus

 



                                         





Ce livre consacré à Louis Germain l'instituteur si connu d'Albert Camus est un livre intéressant à plusieurs points de vue .S'il ne nous apprend pas grand chose de nouveau sur la relation exceptionnelle d'Albert Camus avec son maître que les multiples biographes avaient déjà étudiée il a le mérite de nous redonner de nombreuses citations des écrits de Camus consacré a ce maître et l'on ne relie pas tous ces textes sans une forte émotion.

Il est intéressant aussi parce qu'il nous fait revivre en divers endroits d'Alger et consacre plusieurs pages à la généalogie de Louis Germain faisant apparaître les conditions de peuplement de ce pays et la diversité extraordinaire de ce peuple courageux.

Quant à Louis Germain l'auteur s'attache a décrire sa carrière d'instituteur et surtout la façon dont il accomplissait sa tâche, les valeurs auxquels il était attaché et sa conception de l'éducation des jeunes élèves. Ce livre est, sur ce point, une ode aux enseignants de tous les temps mais notamment de cette période des hussards de la République.

J'ai ainsi appris le rôle important de l'Ecole Normale de la Bouzaréah qui forma tant d'enseignants de qualité en Algérie et j'ai appris, à cette occasion, que Camus avait dédicacé son livre l'Homme révolté à cette école avec la mention suivante: "à l'école Normale de la Bouzaréah, la plus haute et la seule institution de l'Algérie".

L'auteur cite également le Code Soleil , ce livre écrit en 1923 pour les instituteurs par un certain Joseph Soleil et qui contient beaucoup de ce que doit être un enseignant. A cet égard ce livre sur Louis Germain devrait être offert à tous les instituteurs. Certes les injonctions adressées aux instituteurs dans le Code Soleil peuvent paraître dépassées et dites sur un ton d'autrefois mais elles ont une part fondamentale de vérité.

Ce que l'on apprend aussi c'est que Louis Germain aimait et pratiquait la musique et qu'après sa vie d'instituteur il enseigna au Conservatoire d'Alger et qu'il avait épouser en troisième noces une artiste lyrique encore que sur ce point l'auteur ne soit pas catégorique et manque de documents. On regrette a cet égard que les archives de l'éducation nationale de la période soient restées en Algérie et qu'apparemment elles soient d'un accès impossible.  

Au total un livre qu'aimeront ceux qui ont connu l'Algérie et Alger , les amoureux de Camus et tous ceux qui pensent que le métier d'enseignant est un des plus beau et des plus nécessaire.


samedi 16 octobre 2021

Jacques Schiffrin: Un éditeur en exil

 Amos Reichman s'attache a retracer la vie de  Jacques Schiffrin  connu pour être le créateur de la superbe collection de "La Pléiade" à Paris. Ce que l'on retient d'abord c'est la grande amitié de Jacques Schiffrin et d'André Gide , une amitié qui ne faiblira pas malgré les épreuves et durera, comme leurs correspondances jusqu'à leur mort.

Le premier livre que publiera Jacques Schiffrin dans la Pléiade sera une traduction de Pouchkine réalisée conjointement par lui-même et André Gide. André Gide sera le premier auteur publié de son vivant dans la Pléiade.

Est évoqué aussi le fameux voyage de Gide en URSS, voyage émouvant pour Jacques Schiffrin  qui eut, grâce a ce voyage, l' occasion de revoir son pays natal, qui en fut déçu et qui quitta rapidement l'équipe de ce voyage.

Une grande partie est consacrée à l'exil auquel fut contraint Jacques Schiffrin au moment de l'occupation de la France et , en raison de l'attitude des autorités françaises, un exil très compliqué à organiser , aux Etats-Unis, plus précisément à New-York où Jacques Schiffrin devint , à nouveau éditeur avec beaucoup de difficultés et où, fidèle à André Gide il publia comme premier livre les Interview imaginaires .

En décembre 1943 André Gide lui adresse un télégramme depuis Fez au Maroc lui accordant "pleins pouvoirs pour toutes questions concernant la traduction de mes oeuvres."

Il créa une maison d'édition Panthéon Books et là encore il eut des textes de Gide. Le roman de Camus, l'étranger étant paru chez Gallimard, Schiffrin vérifie que Camus n'a pas cédé aux Gallimard  ses droits pour les EU il traite directement avec Albert Camus et l'Etranger sera publié par lui aux EU. Il crée une collection ressemblant à la Pléiade et les français aux EU se réjouissent de retrouver des livres de cette qualité. Il fait un énorme travail pour faire connaître la littérature européenne en Amérique car de New York il a des relations avec de nombreux autres pays du continent.

L'auteur montre    comment les Galimard se comportèrent mal avec celui qui avait créé la Pléiade et qui leur avait ensuite cédé cette prestigieuse collection! Schiffrin ne pourra jamais reprendre la direction de la Pléiade malgré l'appui d'André Gide qui dés juin 1942 écrira à ce propos :" Il reste et restera, quoiqu'il en soit et puisse être, que la Pléiade est VOTRE œuvre .On le dit; on le sait; on le saura."

La famille Gallimard  veut se racheter et lui adresse une lettre reconnaissant son travail et l'appelant a revenir prendre de nouveau la direction de la collection .

Ce livre est passionnant car il nous montre comment les écrivains, les artistes réagirent au moment de l'occupation, obligé pour certains de s'exiler , eux aussi aux Etats Unis .

Il y a aussi des pages émouvantes sur la situation de Schiffrin après la guerre partagé qu'il est entre son désir de revenir à Paris, ses rêves d'une nouvelle vie en France et son état de santé, sa faiblesse qui l'en empêche. (p 178 et s.). Il meurt en 1950 de complications pulmonaires sans avoir revu la France et les derniers mots écrits par André Gide, décédé  quelques mois après, dans son immense journal sont consacrés au décès de Jacques Schiffrin : Nul ne méritait plus que lui d'être aimé" ( p.231).

On pourra aussi écouter ici une émission consacrée à cet homme.

vendredi 8 octobre 2021

Irvin Yalom: Le problème Spinoza

 Le problème Spinoza de Irvin Yalom est un livre paru en 2012 et en France en 2017. C'est à la fois un roman car il y a des éléments inventés et une étude car le récit repose sur des faits historiques. C'est une œuvre originale  qui alterne, chapitre après chapitre, le récit de la vie de Spinoza et celui d'Alfred Rosenberg important responsale nazi condamné à mort  lors du procès de Nuremberg. Comme le dit l'auteur dans une sorte de postface dans laquelle il explique son travail  il  y a plus d'éléments réels dans la partie consacrée à Alfred Rosenberg que dans celle consacré à Spinoza sur lequel en dehors de ses écrits on a peu de choses sur sa vie.

L'intérêt de ce livre est de lié ces deux vies à parti d'un tout petit élément historique très peu connu: lorsque les nazis ont envahi la Hollande et Amsterdam ils ont pillé mais aussi brulé de nombreux livres. Or Alfred Rosenberg chargé de ces pillages a volontairement épargné la bibliothèque de Spinoza et un document officiel laconique indique que Rosenberg a justifié que l'on épargne les livres de Spinoza en indiquant que cette bibliothèque permettrait peut être de résoudre ; "le problème Spinoza"! Quel problème?

C'est ce que le livre essaye de faire en partant d'une hypothèse: Alfred Rosenberg, tout jeune était un raciste , antisémite, très hostile au juifs mais un des auteurs allemands les plus célèbre, le poète Goethe était un admirateur de Spinoza qui, disait-il, lui avait permis d'atteindre une forme de sérénité. Or Spinoza était juif! Cruel pour l'antisémite Rosenberg.

Dés lors le roman nous donne a connaître la vie et surtout les pensées de Spinoza qui lui valurent d'être exclu de la communauté juive, excommunié en quelque sorte et parallèlement la vie et les dérives criminelles d'Alfred Rosenberg.

C'est passionnant sur les deux points.