jeudi 10 avril 2025

Xavier Le Clerc : Le pain des Français.

Xavier Leclerc a publié il y a quelques années  un livre très fort, très émouvant en hommage à son père, algérien, immigré en France. Xavier Leclerc est un admirateur de l'œuvre d'Albert Camus et ils utilisait dans ce livre des éléments tirés des enquêtes de Camus lorsqu'il était journaliste à Alger Républicain sur la "Misère en Kabylie" cette région dont son père était originaire. Une nouvelle fois je recommande la lecture de c

.beau livre.   https://jpryf-actualitsvoyagesetlitterature.blogspot.com/2022/09/xavier-le-clerc-un-homme-sans-titre.html

Voilà que dans un roman qu'il vient de paraitre: "Le pain des Français"  il aborde la question des crimes commis par la France lors de la conquête de l'Algérie. Il le fait de manière originale, cruelle et émouvante en racontant l'histoire de Zohra dont seul subsiste un crâne déposé avec , hélas, beaucoup d'autres dans les sous-sols du Musée de l'Homme au Trocadéro.

En examinant , en s'adressant à ce crâne, en  nouant un dialogue entre  le destin si cruel de cette petite fille et  lui-même l'auteur nous fait passer du passé au présent.

A l'heure où une déclaration du journaliste Apathie sur les crimes de la France en Algérie a entrainé de nombreuses réactions, il est bon de lire ce roman qui donne vie à une partie de ces  crimes et qui derrière des faits bruts et des statistiques nous oblige a voir l'histoire en  face. C'est un roman mais il est étayé par de nombreuses études historiques, par des mémoires des participants à ces crimes.

Je dois dire que je connaissais cette histoire de crâne conservés et dont la restitution à l'Algérie est en discussion, mais c'est une chose de connaître la question et une autre de la voir prendre chair ,si l'on peut dire, dans une évocation romanesque.

On a beau savoir que l histoire est tragique et que les hommes ont commis des abominations on reste stupéfait face a ces comportements,emanant parfois d hommes cultives.

La réconciliation est possible car l'on ne peut tenir pour responsables les hommes et les femmes d'aujourd'hui des agissements de meurs aïeux. Mais cette réconciliation ne sera possible que par la connaissance de l'histoire et de ses crimes et par la reconnaissance de ces abominations.

L'histoire ,quant à elle , peut être mieux comprises par la littérature ,la fiction (basée sur des faits réels) car elle est source d'émotion ,elle fait appel à la sensibilité et comme le disait le Petit Prince "On ne vois bien qu'avec le cœur ".

L'auteur au cours de sa réflexion revient sur son propre parcours que nous avions déjà compris dans son précédent ouvrage et il tente de rapprocher son destin et celui de cette petite fille, ce crâne du Musée de l'homme.

Encore un roman à lire. Après sa lecture on ne peut rester le même.

mardi 8 avril 2025

Jean Noel Pancrazi: Quand s'arrêtent les larmes.

Et voilà un nouveau livre de Jean Noel  Pancrazi: Quand s'arrêtent les larmes qui vient de paraître chez Gallimard.

J'ai presque tout lu de cet auteur dont j'admire le style et la sensibilité à fleur de peau. Trois  grands thèmes dans son œuvre: l'enfance en Algérie (Madame Arnoul, La montagne, Renée Camps, Je voulais leur dire mon amour) sa famille au retour d'Algérie à Perpignan: (Long séjour,), son homosexualité ( Les quartiers d'hiver, Les dollars de sable).

Dans ce dernier livre il revient à la fois sur l'enfance en évoquant sa petite sœur et ses propres amours le plus souvent dans des pays éloignés et souvent avec des jeunes gens pauvres. On retrouve donc les différents éléments figurants déjà dans ces récits antérieurs.

Le point de départ de ce livre est la maladie de sa sœur atteinte d'un cancer et qu'il vient rejoindre à Perpignan où elle vit et , comme toujours dans les livres de Jean Noel Pancrazi on retrouve cette émotion qui traverse tout le récit lorsqu'il évoque cette petite sœur aimé affrontant l'épreuve de la maladie et l 'évocation de ses amitiés lointaines. C'est un très beau portrait de sa sœur, une jeune femme déterminée, active, soucieuse des autres et qui s'engagent avec générosité. Il y a beaucoup de pages absolument bouleversantes et pour compléter cette courte analyse je ferais prochainement la lecture de quelques pages qui vous donneront , je pense, encore plus l'envie de lire cet auteur.

lundi 10 mars 2025

Jean Pélégri: Le maboul

 Je viens de terminer la lecture du Maboul de Jean Pélégri après avoir lu et aimer :Les oliviers de la justice. Ce roman est très différent même s'il se passa aussi dans la campagne, dans ce milieu de l'agriculture et des petits colons. 

Tout le roman est le soliloque de Slimane qui raconte sa vie de pauvres ouvrier agricole et, ce faisant, celle des innombrables ouvriers dans ce domaine.

Ce roman est d'abord un exercice difficile et pourtant très réussi de style car l'auteur fait parler Slimane tout au long du roman dans une langue particulière, à la fois pleine d'erreurs, mais aussi de trouvailles , d'idées particulières, d'expression très imagée. On comprend de que Slimane veut dire mais il le dit à sa manière et tenir ce style tout au long d'un roman de prés de 200 pages est une réelle prouesse.

Le roman est un peu policier car Slimane a tué un homme et il ne sait pas très bien pourquoi. C'est un maboule c'est à dire quelqu'un d'un  peu dérangé mais pourquoi est-il dans cet état?

Le tout se déroule dans une exploitation agricole pendant la guerre d'Algérie et l'atmosphère est fort bien rendu. Il est vrai que Jean Pélégri était un agriculteur, fils d'agriculteur. (Voir les Oliviers de la Justice)

André le propriétaire  et Slimane se connaisse depuis longtemps. Ils discutent souvent ensemble et il y a des discussions émouvantes lorsqu' André parle de son fils Lakhdar à Slimane. Ce fils fait la guerre en France et sur une grande carte André montre régulièrement à Slimane où se trouve son fils. 

Ils sont vieux tous les deux, la vie a passé et bientôt ce domaine pour lequel ils ont tant donné, l'un et l'autre, va probablement disparaitre. On songe a des scènes de Tchekhov. (Oncle Vania et la cerisaie ).

L'atmosphère de la période de la fin de la guerre est fort bien rendu.

lundi 3 mars 2025

Jean Pélégri : Les oliviers de la justice

 Ce roman a été publié par Jean Pélégri en 1959 et je le découvre qu'aujourd'hui. C'est une très belle découverte d'un romancier Algérien qui fut un juste.

Le roman se situe en 1955 alors que la guerre d'indépendance vient de commencer et que le père de l'auteur est en train de mourir. Tout le début du roman est l'évocation de cette mort d'un père respecté et aimé qui fut un des ces agriculteurs pionniers qui défrichèrent et assainirent à force de travail ce qui deviendrait la belle région agricole de la Mitidja. 

C'est l'occasion pour l'auteur de se souvenir de son enfance , de son adolescence , de la naissance de son amour pour cette terre. Dans ces évocations de la jeunesse et de l'admiration pour son père  on pense aux souvenirs de Pagnol dans la Gloire de mon père.

Le roman m'a plu car il évoque des endroits que j'ai bien connu. La ferme des Pélégri était situé pas très loin du petit village colonial où ont vécu mes grands parents maternels: Le Fondouk. La description des paysages que l'auteur fait avec talent me renvoi à mes propres souvenirs et à mes propres impressions. 

De même lorsqu'il évoque ses pérégrinations d'adolescent dans l'Alger d'autrefois je m'y retrouve totalement et lors de mon dernier séjour à Alger j'ai suivi ces itinéraires.

Mais ce roman n'est pas qu'un livre de souvenir il est une réflexion sur le sort fait aux Algériens. Dans la famille Pélégri on travaillait avec les Algériens mais on allait plus loin car se créaient des liens de fraternité profonds et un respect et une admiration pour la culture de cette population et tout cela est bien rendu dans le roman.

Le roman se passe en 1955. les Algériens et les pieds noirs ont connu, très peu d'années avant, la fraternité d'armes. Les Algériens se sont montrés courageux et ont défendu la France avec bravoure. Or bien loin d'en être reconnaissant on les a traités avec une grande injustice  qui révolte Jean Pélégri. Il pousse un cri  émouvant contre cette injustice.

Le roman nous amène à réfléchir à nouveau sur l'injustice coloniale qu'il décrit très bien et à un moment il a cette formule:

"Ce que je comprenais pas, c'est que, d'abord, pour qu'un paysage devienne un pays, il ne suffit pas qu'il soit beau. Encore faut-il que tous les hommes s'y sentent égaux."

Jean Pélégri a dédicacé son roman  un poète Jean Sénac et tous deux, mais aussi Camus partageaient cette espoir d'une Algérie plurielle et libre. On sait ce qu'il en est advenu. Sans doute ,  contrairement à eux, Camus n'a pas pu envisager l'indépendance du pays mais il a , comme eux, contester le colonialisme et il aurait adhéré pleinement à ces rêves de fraternité qui court tout au long de ce très beau roman.


lundi 17 février 2025

Jean Pélégri: Ma mère l'Algérie

 Pour ce livre de Jean Pélégri paru pour la première fois en 1989 je ne vais faire aucun commentaire mais je vais me contenter de citer un passage du livre et ,j'en suis sûr, il vous donnera le ton général de ce récit et vous donnera envie de le lire.

Le passage , le voici (p. 51 et s.)

"Il y a une tragédie, selon le mahatma Gandhi quand les uns n'ont pas tout à fait tort et les autres pas tout à fait raison. La guerre civile est une de ces tragédies. En particulier quand elle concerne l'avenir et le destin des vôtres et de votre communauté. Pour trancher ce genre d'affaires, pour choisir, la parole  militante, le discours idéologique ne suffisent pas . Et encore moins les propagandes toujours douteuses. On a besoin pour comprendre, pour trancher, d'intercesseurs modestes, de messagers à la parole sincère qui vous fasse comprendre l'injustice sans mettre en cause la dignité des vôtres - afin que l'adhésion ne soit pas simplement un acte intellectuel abstrait et plus ou moins gratuit mais qu'elle vous engage tout entier. Sans trahison des vôtres, sans reniement de ce qui vous est cher. 

Cette parole juste, je l'avais trouvé dans  Bokhala et dans mes anciens compagnons d'armes algériens. Je l'avais déjà trouvée, élaborée, dans les livres de Roblès, Mammeri et Feraoun. Dans les poèmes de Jean Sénac, dans le vautour de Kateb Yacine, dans le roman de Dib La Grande Maison, qui m'ouvrit l'oreille et qui m'aida à trouver le ton qu'il fallait pour faire parler les hommes et les femmes d'Algérie. Mais la parole juste, douce, subtile, dont j'avais besoin, je l'ai trouvée dans une vielle femme algérienne, du nom de Fatima, qui surgit dans ma vie au moment voulu. Au tout début de la guerre d'Algérie. Une vielle femme illettrée. Mais l'on sait ce qu'il est dit dans le Coran  de l'illettré.

Un jour comme les autres, elle se présenta pour demander du travail. Nous n'en avions pas la nécessité, mais je ne sais pourquoi, à cause de son regard et de sa dignité, nous l'engageâmes pour une heure ou deux par jour. Et c'est ainsi que nous nous sommes mis à parler avec elle, chaque jour en prenant le café ,où pendant qu'elle berçait dans ses maigres bras mon fils encore enfant. Malgré son français maladroit, elle avait sur toutes les choses, sur la vie, la vieillesse , l'amour maternel, la guerre, des jugements  qu'aurait pu envier le plus savant des moralistes, des images saisonnières  où intervenaient tout naturellement la lune , le figuier, le jasmin, le lilas. Et je l'écoutais ému, émerveillé. Chaque jour surpris par ses trouvailles et chaque jour étonné par cette simple et profonde sagesse.

C'est ainsi qu'elle nous apprit, par un détour, que son unique fils avait été tué au maquis pendant des combats. Nous montrant un avion de chasse, elle dit :"Regarde là-haut cette montagne. regarde cet avion qui passe...mon fils aussi l'a regardé!" Et elle ajouta, lointaine, "Quand Dieu te donne un fils, ce n'est pas pour l'enterrer!" Et là j'ai compris à qui elle pensait quand , avec un sourire lointain, elle berçait mon fils entre ses bras en lui chantant une berceuse arabe.

Ainsi, par elle, par ce sourire, par ces paroles douces et subtiles qui ne mettaient pas en cause la dignité des miens, j'ai franchi, sans déchirement, des obstacles qui pouvaient paraître insurmontables.

J'ai compris, parce que je l'aimais, que le racisme n'était qu'une simple et fragile barrière de roseaux.

J'ai compris, jour après jour, sans heurt et sans fracas, le sens du combat du peuple algérien, l'autre côté et l'autre nom des choses, l'autre nom de Dieu. Et sous ses yeux je me suis mis, chaque jour, à apprendre l'écriture arabe et à tracer mes premiers signes. Avec le plaisir de l'enfant qui transforme des sons familiers en lettres- et aussi l'émotion de l'entendre doctement corriger ma prononciation défectueuse. Un apprentissage qu'elle suivit avec attention, à la fois amusée et fascinée- en me demandant parfois d'écrire, sur un petit bout de papier, une phrase sur sa petite-fille Dhalila. Et j'écrivais en signe arabe, de droite à gauche, en m'appliquant: "Dhalila est une. Cela fait, en élève docile, je lui tendais le bout de papier qu'elle regardait un instant, comme si elle savait lire, en murmurant une ou deux fois la phrase arabe. Et qu'après l'avoir plié elle glissait ensuite, comme un talisman, au creux de sa maigre poitrine. En me remerciant avec un sourire heureux que je vois toujours."





samedi 15 février 2025

Walid Hajar Rachedi : Albert Camus Non à la divison

 Walid Hajar Rachedi , un jeune écrivain Algérien vient de publier aux Editions Actes Sud Jeunesse un livre consacré à Albert Camus un écrivain qui l'inspire. Ce livre a pour titre : Albert Camus: Non à la division et il comporte deux parties clairement distinctes y compris sur le plan typographique. La première partie extrêmement émouvante part de ce jour où Albert Camus apprend que le Prix Nobel de Littérature lui est décerné. L'auteur sait décrire avec un grand talent les réactions d'Albert Camus à cette nouvelle. Il évoque ensuite à la fois avec une grande précision , une grande clarté ce que l'on a appelé l'incident de Stockholm c'est à dire l'interpellation par un jeune Algérien sur sa position sur la question Algérienne. C'est la première fois que je vois décrire cet épisode  qui a été exploité de manière abusive  et , en réalité, malhonnête par certains intellectuels de l'époque. Il évoque aussi très bien ce moment de l'appel pour une trêve civile.
L'auteur met en scène ce jeune Algérien et l'on retrouve le récit bouleversant (déjà rendu public par José Lenzini) de ce jeune allant à Paris pour rencontrer Camus, apprenant par Jules Roy qu'il vient de décéder et qui se rend sur la tombe de l'écrivain à Lourmarin.
Je crois que ce livre fait justice et je m'en réjouis, de toutes les polémiques nées de ce moment à Stockholm.
La deuxième partie ( moins romanesque) nous rappelle tous ceux dans l'histoire récente qui   ont  œuvrés paour éviter  la division des peuples ayant subis une grave crise, une grande tragédie. Ce livre n'a que 80 pages mais il est très dense et je le conseille absolument aux amateurs d'Albert Camus et de son oeuvre.

samedi 1 février 2025

Sandrine Collette: Madeleine avant l'aube.

 Ce roman paru en 2024 a connu un très grand succès et a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens. J'ai aimé  Houris le roman de Kamel Daoud qui a lui obtenue le Prix Goncourt. Si j'avais été juré j'aurai attribué ce prix à ce roman.

C'est un livre très dur. Je me suis demandé si j'avais déjà lui un livre d'une telle dureté. Je n'ai rien trouvé dans mes souvenirs. Mais toute cette dureté nous est donnée dans un style magnifique.

Le roman se déroule dans une petite région rurale à une époque (heureusement lointaine) où la vie des paysans était d'une très grande dureté, dominée par des seigneurs qui leur prenaient l'essentiel et victimes du climat qui, certaines années, les laissaient sans récolte et les conduisaient à la famine.

Le roman évoque une famille dans trois fermes isolées, séparées du bourg et qui voit apparaître ,un jour , une fille des bois qui a ,sans     doute perdu ses parents et s'est élevée seule au milieu des bois: une sauvageonne au caractère bien trempé . Elle sera adopté par une famille mais entre famines et viols par le fils du seigneur sa vie ne sera qu'une longue suite de malheurs jusqu'au drame finale.

L'auteur Sandrine Collette  qui vit dans une région âpre a étudié les documents sur les famines dues, pour l'essentiel ,  au climat et qui ont entrainé des morts. Ces paysans sont confrontés à un travail harassant, au froid et au gel, aux aléas du climat qui supprime certaines récoltes, à la faim. On se demande comment ils résistent.

Il y a l'instinct de survie, une forme d'acceptation du sort mais aussi le lien familial qui aide à supporter l'insupportable.

On ne sait plus ,aujourd'hui ,à quelles difficultés, à quelles misères ont été confrontés certains paysans à ces époques et ce roman nous invite à mesurer les progrès réalisés, non que tout soit parfait, loin de là, mais on ne connaît plus la dureté de ces temps que l'a a peine à imaginer.