vendredi 26 juillet 2019

Albert Camus :journaliste



                                                                         


Je viens de terminer la lecture du livre de madame Santos Sainz   Albert Camus journaliste   qui vient de paraître. Cette spécialiste de l'information s'e'st attaché à décrire en détail toute l'activité journalistique de Camus et son livre est divisé en deux parties essentielles: dans une première partie elle se consacre à l'époque où Camus est un véritable journaliste de terrain en Algérie à Alger Républicain puis  a Soir Algérie.Il n'a que 26 ans quand il commence et sa production très variée et importante. Elle revient ,bien sûr, en détail sur son enquête de terrain et ses articles "Misères en Kabylie" qui ont le sait ont fait beaucoup de bruit à l'époque même si le pouvoir et les colons n'ont pas tiré de ces textes les leçons qu'ils auraient dû tirer.
Je n'ai rien appris que je ne savais déjà mais j'ai ,à nouveau , admirer la clarté et le style par moment magnifique et émouvant que Camus emploie et le livre analyse mieux que beaucoup cette production journalistique.
Elle revient aussi sur ses chroniques judiciaires en nous racontant dans le détail ses articles sur les affaires Hodent et El Okbi et là Camus est à la hauteur de Voltaire et de Zola et toujours avec un style qui sait intéresser son lecteur et lui faire prendre conscience des injustices et des dérives de la justice.
Un grand nombre de ces éditos évoquent le problème du mal, de la violence et il est très proche des analyses de la philosophe Anna Arendt sur la "banalité du mal". Je découvre , a cette occasion un fait que j'ignorai. Anna Arendt en visite à Paris demande a rencontrer Camus qu'elle considère comme l'intellectuel important en France. On lui propose de rencontrer aussi Jean Paul Sartre ce qu'elle refuse avec cette formule : "Mais il n'a rien à m'apprendre"!


Et quand on referme ce livre on se dit que décidément voilà un homme juste qui ne s'est guère trompé.Il a toujours défendu des causes justes et il l'a fait avec mesure mais fermeté.Ainsi on voit comment il a réagi lorsque le pouvoir français a  été si odieux avec les réfugiés espagnols en Algérie et ailleurs et l'on se dit que sa voix serait certainement au rendez vous pour défendre les migrants.
On se dit aussi qu'il est vraiment a part des intellectuels d'hier et d'aujourd'hui qui se trompent si souvent.
Il ya cependant un point dans ce livre qui m'a déplu et qui à mon sens démontre que l'auteur malgré sa très brillante analyse des articles de Camus n'a rien compris à l'homme c'est le rapprochement qu'elle fait a plusieurs reprises de Camus et d'Eddy Pleynel le responsable de Mediapart! Et ce n'est pas parce qu 'Eddy Pleynel se revendique de Camus et qu'il cite souvent l'éthique camusienne qu'il s'en approche.Je suis absolument sûr que Camus n'aurait pas du tout apprécié les pratiques de Mediapart, l'attaque répétée jour après jour sur des faits certes critiquables mais qui ne sont pas les grands problèmes de la politique, qu'il n'aurait pas apprécié les méthodes douteuses de recherche de la vérité par des accointances malsaines avec certains magistrats et policiers et par le recours a des intrusions inacceptables dans la vie des gens avec des écoutes téléphoniques digne de régime totalitaires que Camus a toujours combattu. Il n'aurait pas aimé ces Torquemada aux petits pieds qui défendent nous disent ils la morale! Un de mes confrères Dupont-Moretti nous dit qu'il n'aimerait pas vivre dans le monde de Mediapart et j'en suis certain Camus n'aurait pas aimé non plus. Il était Zola et Voltaire pour défendre les victimes d'injustice mais il n'aurait pas aimé du tout être un procureur. Pierre Péan le journaliste d'investigation qui vient de mourir était ,lui aussi , inquiet des dérives d'une certaine presse et déclarait que "la transparence absolue c'est la dictature absolue." Et Pean ajoutait encore : : “Attendre sur son bureau les PV des juges, ce n’est pas ce que j’appelle de l’enquête, mais de la gestion de fuites. Le journaliste devient un pion, rentrant dans les objectifs des uns et des autres, devenant l’outil de vengeances ou de stratégies judiciaires.”
Il n'aurait pas non plus été comme Pleynel un islamo-gauchiste défendant une idéologie qui est le contraire absolu des valeurs de Camus. Cela fait beaucoup!
Le critique est donc en face de ce livre comme un professeur face a une copie brillante mais qui est basée sur un énorme contre sens.
Dés lors ce livre laisse une impression regrettable car il fait un contre sens absolu sur la véritable éthique de Camus.L'avocat et écrivain François Sureau semble bien partager cette analyse

lundi 15 juillet 2019

Eric Fottorino: Questions à mon père

Dans ce livre paru chez Gallimard en 2010 Eric Fottorino revient sur son histoire personnelle et c'est un livre émouvant dans lequel il retrace ses retrouvailles avec son père Maurice Maman et à travers lui avec sa famille juive originaire de Tafilalet une oasis du Sud Marocain. Après sa naissance Maurice a été contraint par les circonstances et par d'imbéciles préjugés religieux d'abandonner sa mère qui a donc refait sa vie et le petit Eric a été adopté par un Tunisien, Michel qui  lui a donné son nom et lui a tenu  de père. Pendant tout le temps où son père adoptif a vécu il s'est, d'une certaine manière ,interdit d'avoir des liens avec son vrai père et , tout  au contraire, n'a cessé de penser à lui mais a s'en éloigner et à le rejeter. C'est que ,mal informé ,il pensait que ce père l'(avait abandonné a sa naissance alors qu'il n'en était rien et qu'au contraire il a avait toujours cherché a renouer avec ce fils. Après le décès de son père adoptif, libéré, il renoue avec son père alors que ce dernier est atteint par une grave maladie et que ses jours sont comptés.
Ce livre est le récit de cette absence, des occasions manquées , du comportement du très jeune homme que l’auteur était alors à l'égard de ce père, injustement traité parce que,   ,rappelant les paroles de cl chanson ,: 'il n'avait pas le coeur assez grand.....".
Maintenant que les jours sont comptés il faut mettre les bouches doubles et apprendre à connaître cette famille de juifs marocains, la vie de ce père gynécologue réputé.
Au total un bel hommage à ce père et a cette famille  retrouvé tard.

samedi 13 juillet 2019

Jean Noel Pancrazzi: Tout a été si vite.

Au cours d’un petit séjour chez ma sœur dans les Landes j'ai découvert un nouveau roman de Jean Noël Pancrazzi que je ne connaissais pas, paru en 2013 chez Gallimard et intitulé : "Tout est passé si vite C'est le récit de la fin de vie d'une femme écrivain qui a eu du succès, qui a tenu un rôle dans une maison d'Edition où elle a aidé beaucoup de jeunes auteurs et où elle assiste , malade  et fatiguée aux divers mouvements qui affectent la maison d'Edition dont les fondateurs vont être écartés  à l'occasion de la restructuration du capital. On assiste a ce changement de monde  tout en suivant le déclin de l'écrivaine  de plus en plus fatiguée et qui sait la mort prochaine. Ce résumé ne dira pas grand chose car, comme toujours chez Jean Noël Pancrazzi c'est évidement son style , sa façon d'évoquer le temps qui passe, les dégradations dues à la maladie, la nostalgie des temps qui disparaissent qui fait tout l’intérêt de ce roman. On retrouve bien ce style et ces phrasées ,longues,  sur lesquelles courent toujours une émotion qui prend le lecteur.Et l'on se dit que décidément cet auteur est hanté par la mort et qu'il y a consacré pratiquement toute son oeuvre. Il faut en effet se souvenir de "Long séjour" où il évoque la fin de son père, "René Camps" dans lequel il évoque la fin de sa mère mais aussi, sans doute, "Quartier d'hiver" où il se souvient des années Sida , des morts de cette maladie et de la fin d'un monde. Quand on ajoute qu'il a beaucoup écrit sur son enfance en Algérie on se dit qu'il est le romancier des mondes qui passent.

jeudi 4 juillet 2019

Adieu Randy

A la suite du départ de notre Randy ce 2 juillet 2019 je place, ici, l'extrait de mon livre : "Tombeaux pour mes chiens" où je l'évoquais et que je viens de compléter, hélas, pas comme je l'aurai voulu.

Ceux dont je viens de me souvenir sont tous morts et le texte correspond bien pour eux au titre que j’ai choisi « Tombeau pour mes chiens ».

Randy dont je vais parler maintenant est heureusement bien vivant. Il est né en 2000 mais je ne l’ai pas eu tout de suite. Il appartenait à mon amie Annie qui, après que je l’ai gardé quelques fois, m’a proposé de l’adopter. Elle avait d’autres chiens, elle en avait toujours eu mais elle emménageait dans un appartement et ne souhaitait plus les garder tous. J’ai beaucoup hésité, je venais de prendre ma retraite et mes projets étaient de voyager. La présence d’un chien allait m’encombrer. J’ai finalement accepté et je ne l’ai jamais, jusqu’à ce jour, regretté. C’est un chien que je n’aurais jamais dû avoir. Dans mon discours à mes confrères lors de mon départ à la retraite, je les avais fait rire en leur disant que mon métier d’avocat m’avait rendu sédentaire par nécessité et que désormais j’irais de ville en ville, de pays en pays au gré de mes envies. La formule que j’avais alors employée avait fait mouche. « Je vais devenir un spoutnik tournant autour du monde. Je vais essayer, après avoir été un avocat passable de devenir un bon conducteur de spoutnik. » Le seul problème de ces engins est que parfois ils se désagrègent en atterrissant. A l’heure où j’écris ces lignes, le « spoutnik » tourne encore et le moment de l’atterrissage brutal ou en douceur n’a pas encore sonné. Randy me posa donc un problème car il est quelquefois malaisé de transporter un chien dans un « spoutnik » et l’on se souvient de la pauvre Laïka, envoyée dans le ciel, qui mourut dans son engin demeuré sur orbite. Randy était si petit qu’il ne gênait personne en voyage ou ailleurs, petit au point qu’en m’amusant je me posais la question devant lui de savoir s’il était un chien-lapin ou un lapin-chien.

Mais avant d’évoquer les voyages de Randy, je voudrais rendre hommage à son intelligence. Tous les chiens sont intelligents, leurs maîtres unanimement vous le confirmeront bien sûr et mes précédents chiens l’étaient aussi. N’est-ce pas Aïnos qui a réussi par sa « comédie », son agitation, ses allers et retours frénétiques pour alerter ma mère, un jour que je me suis trouvé bloqué à l’extérieur sans mes clefs, à renter chez moi ?
Quant à Randy, pour en revenir à lui, nous avons d’abord noté un sens aigu de l’observation et n’est-ce pas là le premier élément d’un raisonnement intelligent ? Ainsi dès que notre vie prenait un tour différent de l’ordinaire - la plupart du temps nous avions une vie tranquille et réglée - parce que nous nous apprêtions à recevoir des amis à dîner ou parce que nous préparions un départ en voyage, Randy, dès les tous premiers préparatifs, commençait à manifester, à s’agiter, à aller et venir et ne retrouvait son calme que lorsque les événements qu’il avait devinés étaient en train de se réaliser. Vie tranquille que nous menions !
Dans les soirs d’hiver notamment, nous étions souvent, en fin d’après-midi, dans nos fauteuils face à la télévision et vers dix-neuf heures, Rachid partait vers la cuisine pour préparer le repas du soir. S’il lui arrivait de tarder un peu, Randy s’asseyait alors face à lui et le fixait, tentant avec insistance de croiser son regard. Alors, semblait-il dire, à quelle heure allez-vous manger ce soir ? Il apparaît trop clairement, de ces petits faits anodins, que nous étions en réalité gouvernés par un petit chien de trois kilos huit !
Il y avait aussi chez Randy un don assez mystérieux et supérieur à l’observation que j’appellerais, faute de mieux, de la prescience ou de la transmission de pensée que Rachid résumait en soutenant que Randy était équipé d’un système Wifi dans la tête. Ainsi, quand l’un de nous sortait, Randy, quelques temps avant son retour, s’installait sur un fauteuil de l’entrée dans la position d’un sphinx d’Egypte et l’on pouvait être sûr alors que l’absent allait bientôt être là. Comment Randy agissait-il ? Ce n’est pas qu’il entendait un bruit familier car il prenait sa position d’attente bien longtemps avant que le revenant ait pu faire retentir un bruit quelconque. Le Wifi avait fonctionné !

J’ai vu, il y a quelques semaines, un reportage télévisé qui expliquait que des scientifiques s’intéressaient à ce phénomène qui est, à ce qu’il paraît, très fréquent chez les animaux et pas uniquement chez les chiens. Un professeur anglais constatant ces phénomènes conclut à la « transmission de pensée ».
Ces scientifiques auraient sans doute été heureux de se pencher sur les réactions de Randy lors de l’opération à laquelle nous avons donné le nom de code « d’opération de la mule du pape ». Puisque nous œuvrons pour la science, essayons d’être précis !
Tous les deux mois environ, Rachid coupait les ongles de Randy qui poussaient assez vite et qui, reconnaissons-le, ne s’usaient pas beaucoup sur le sol, habitué qu’était ce chien à ne fouler que moquette et tapis ! Randy avait horreur de cette manucure et il se débattait, ce qui ne rendait pas la chose aisée, alors surtout qu’assez lâchement, j’en conviens, je ne voulais pas le tenir pendant l’affaire. Rachid avait alors eu l’idée de confectionner une sorte de harnais en toile qui permettait de le suspendre, ses quatre pattes offertes au coupe ongles.
Quand il était ainsi suspendu, les pattes dans le vide, il me faisait penser à la malheureuse mule du pape. Vous vous souvenez sans doute du conte d’Alphonse Daudet. La mule du pape, au temps où il y avait un pape en Avignon, était, un beau jour, montée tout en haut d’une tour d’où elle avait vu, avec effroi, les avignonnais danser sur le fameux pont comme de petites fourmis. Mais il avait bien fallu la faire redescendre et là, laissons parler le conteur : « Il fallut la descendre avec un cric, des cordes, une civière. Et vous pensez quelle humiliation pour la mule d’un pape de se voir pendue à cette hauteur, nageant des pattes dans le vide comme un hanneton au bout d’un fil. Et tout Avignon qui la regardait ».
Cette humiliation ressentie par la mule, Randy, sans être le fils d’un pape, la ressentait aussi lorsqu’il se retrouvait les quatre pattes pendantes et sans appui, livré sans possibilité de réaction, aux mains de son vétérinaire personnel ! C’est vous dire qu’il redoutait beaucoup cette opération « mule du pape » et je peux vous assurer que le Wifi fonctionnait, à ce moment-là, à plein régime. Au moment où Rachid avait programmé l’opération, sans qu’il en ait parlé, avant même qu’il n’ait fait un seul geste pour sortir ses instruments de torture, Randy, averti je ne sais comment, se mettait à trembler comme une feuille au vent et se réfugiait près de moi, son dernier rempart, croyait-il à tort. Ses tremblements redoublaient lorsque Rachid récupérait son nécessaire. Mais contrairement à la mule du pape, Randy n’en gardait aucune rancune à Rachid. Bien au contraire, il lui faisait peu après moult léchages, ce que Rachid considérait comme le paiement par carte rose !

Il en est de même pour ses séances de shampoings qu’il n’apprécie guère. Le jour où Rachid décidait de lui donner son bain et avant même qu’il n’ait sorti ses flacons, ses brosses, ses serviettes de bains et son sèche-cheveux, Randy venait se réfugier tremblotant dans mon bureau dans l’espoir que je lui épargne l’épreuve. Je vous livre et je livre à la science ces faits bruts, tels qu’ils se sont déroulés à de nombreuses reprises et qui, pour moi, à ce jour encore, demeurent inexplicables et mystérieux.

Alors que je l’évoque dans un texte qui concerne mes chiens disparus, me revient en mémoire. A Pau nous avons la chance d’avoir au pied de notre immeuble un grand parc, la « coulée verte » qui nous donne une vue dégagée sur de la verdure et qui était pour Randy un véritable paradis. C’est là qu’il faisait régulièrement ses promenades, ayant ses circuits habituels, celui du matin et celui du soir, rencontrant ses congénères. Par prudence je ne le laissais approcher que par les chiens, petits ou grands, que je connaissais et dont je savais qu’ils n’étaient pas dangereux. Quand un chien s’annonçait à l’horizon, Rachid demandait s’il était « connu des services de police » c'est-à-dire s’il avait déjà rencontré Randy sans animosité. Ce n’est que dans ce cas que la rencontre était autorisée et, dans le cas contraire, nous prenions Randy sous le bras et passions notre chemin.

Il n’y avait pas que des chiens dans ce parc mais aussi des oiseaux divers et notamment des pies assez familières. Un jour, l’une d’elle, plus audacieuse que les autres, bien ou mal intentionnée, poursuivit Randy qui était à peine plus gros qu’elle. Comme toujours, Randy, toujours ignorant du danger qu’il n’avait jamais connu, l’ignora superbement. Ce n’était pas les oiseaux d’Hitchcock et snobée par Randy, la pie finit par s’envoler voir ailleurs !

Il faut aussi que j’écrive sur ce petit fait, insignifiant sans doute, mais qui m’a marqué. Cela s’est produit un après-midi de novembre 2009 alors que je promenais Randy dans le parc près de notre appartement. Il pleuvait cette après-midi-là et le vent soufflait. La neige était tombée assez bas sur les Pyrénées comme nous pouvions le voir de nos fenêtres. Un temps d’hiver avant l’heure où il fait bon se calfeutrer. Immédiatement en sortant du porche de l’immeuble un petit chat roux est apparu dont j’ai tout de suite vu le poil mouillé et qui aussitôt s’est mis à miauler. Randy qui a toujours été très calme avec les chats a continué, imperturbable, sa promenade et le petit chat s’est mis à nous suivre, rassuré par ce petit chien tranquille, en miaulant à fendre l’âme. D’un côté, Randy revêtu de son manteau écossais et de l’autre ce petit chat de sept à huit mois, mouillé par la pluie qui n’avait cessé de tomber. Le chat s’est enhardi et il est venu se frotter contre ma jambe. Que devais-je faire ? Il n’était pas question que je l’adopte. Nous avions déjà quelques difficultés à bouger avec Randy à qui je voulais éviter de trop fréquents et dépaysants voyages. Il n’était donc pas question de s’encombrer d’un chat. Mais je ne pouvais pas non plus me résoudre à faire comme si de rien n’était et à le laisser là dehors dans ce mauvais temps. Comme la pluie continuait, j’ai pris ce chat sous le bras et je suis rentré. Nous l’avons séché, il a bu un peu de lait et a commencé à découvrir l’appartement suivi par Randy de plus en plus étonné. Rachid m’a fait remarquer qu’il se comportait calmement, sans crainte et il en a déduit que ce n’était pas un chat abandonné. Il avait dû seulement échapper à ses maîtres. Il était préférable de le remettre à proximité de l’endroit où je l’avais trouvé. Dès que la pluie s’est arrêtée, je suis redescendu le chat sous le bras et je l’ai laissé. C’était plus raisonnable mais j’ai passé une très mauvaise fin d’après-midi et dès que la pluie recommençait à tomber je pensais au petit chat roux en espérant qu’il ait retrouvé sa maison mais imaginant aussi qu’il était encore là à errer sous la pluie et dans le froid. Quand je suis ressorti avec Randy, en fin de soirée, pour la dernière promenade habituelle avant la nuit, j’ai regardé partout pour voir si je ne retrouvais pas le petit chat roux. Il n’y avait personne et j’ai espéré que ce petit chat sans nom, apparu un instant dans ma vie, avait trouvé un havre de tranquillité et de chaleur. Cela doit être le cas.

Pour le moment et je m’en réjouis, Randy est bien vivant mais lorsqu’il disparaîtra ce qui est inévitable, je pourrai me dire que j’ai tout fait, oui vraiment tout, pour qu’il ait une vie de chien heureux. N’ai-je pas dans le fond, calqué mon emploi du temps sur le sien ? Ne m’est-il pas arrivé de rentrer plus vite chez moi parce que c’était l’heure de sa promenade ? Je sais que beaucoup vont trouver cela excessif et, sans doute, n’auront-ils pas tort. Jamais je ne me suis occupé autant d’un animal. Je vivais, je peux le dire même si cela parait excessif à certains, au rythme de ce petit chien. Ses promenades constituaient autant de contraintes à mon propre emploi du temps et j’essayais, autant que possible, chez moi ou en voyage, de respecter son rythme, même si pour cela il me fallait écourter un plaisir. Mon ami Rachid, un jour que nous étions très en retard, me dit en plaisantant : « Randy est en train d’appeler le numéro vert des animaux abandonnés ! ». Depuis c’est devenu entre nous une plaisanterie et, désormais, chaque fois que nous sommes en retard sur le rythme de Randy, je mime un appel téléphonique.

Randy avec lequel nous vivons beaucoup, étant tous les deux à la retraite, avait observé comme le font tous les animaux, nos habitudes. Il faut croire qu’elles étaient bien établies puisqu’il précédait souvent nos propres actes. Cela avait un côté très amusant car il donnait alors l’impression de nous dicter notre conduite, de diriger notre vie. C’est ainsi qu’en début de soirée nous étions souvent devant la télévision, assis dans nos fauteuils et, à un moment, Rachid se levait pour aller préparer le dîner. Il est arrivé maintes fois que Randy vienne, lorsque l’heure était arrivée, se planter devant Rachid, les yeux dans les yeux, ne le lâchant pas, avec l’air de lui dire : « c’est le moment, le dîner ne va se faire tout seul ! ». Il ne lâchait le regard de Rachid que lorsque ce dernier se levait pour se diriger vers la cuisine et là, Randy, heureux d’avoir été enfin compris, faisait des bonds en le suivant. Nous plaisantions en nous disant que nous étions dirigés par un animal de trois kilos !

Venons-en au Randy voyageur. Dans la première partie de sa vie chez mes amis, Annie et Maurice, Randy n’a pas voyagé et il a vécu paisiblement dans une maison et dans son parc mais à partir du moment où il fut avec moi, moment qui coïncida avec ma retraite, il devint un grand voyageur. Il a connu la voiture bien sûr mais aussi l’avion et le bateau et il s’est toujours comporté comme s’il avait fait cela toute sa vie. Pour dire vrai, cela n’est pas tout-à-fait exact. Autant il a immédiatement accepté les voyages en avion et leurs contraintes, autant lors des premières traversées en bateau, il a ressenti quelques craintes lorsque nous le promenions sur le pont et qu’il devait affronter le vent du large et le bruit des puissants moteurs. Lors de la première traversée il nous inquiéta n’ayant pas pu faire ses besoins pendant tout le trajet de vingt-deux heures. Chaque année, je passais quelques semaines à Paris et c’est là, je dois le dire, qu’il était le moins heureux, n’appréciant pas les bruits de la ville et regrettant sans doute le parc dans lequel à Pau il faisait ses promenades quotidiennes et où il avait ses habitudes et ses connaissances. A Paris, difficile de trouver des espaces verts et il devait se contenter pour ses promenades et pour ses besoins d’une petite rue où très peu de véhicules circulaient. Autant dire qu’il manifestait sa joie lorsque nous étions de retour à Pau.

En Tunisie, à Hammamet où nous passions le plus souvent deux mois de l’année, il s’adaptait très bien ; il avait la joie de retrouver son fils Vigo et passait quelques temps avec lui. Au moment de la rencontre et pendant quelques jours, c’était entre eux l’exubérance la plus totale et j’en arrivais même à redouter que le cœur de Randy devenu vieux ne lâchât dans un de ces moments de liesse. Puis ces quelques jours passés, voués à la joie des retrouvailles, les deux chiens reprenaient leurs tranquillités et menaient leur vie de compères, manifestement heureux d’être ensemble. Ces moments en commun constituaient pour Randy une véritable cure de jouvence et, sa jeunesse retrouvée, il semblait oublier ses vieux maîtres ! Chaque année se posait alors pour moi la même question. Ne devrais-je pas le laisser en Tunisie où il était si heureux avec son fils ? Et chaque année, je ne pouvais m’y résoudre et il faisait le voyage de retour avec nous. Distrait par le mouvement, il n’avait pas le temps de regretter son fils, ce qui n’était pas le cas dans d’autres situations où il se retrouvait seul tout à coup et pendant deux jours il semblait alors un peu déprimé comme nous le sommes en général après une agréable rencontre qui se termine, cette légère dépression des lendemains de fêtes. Puis, bien sûr, tout reprenait son train normal.
De nouveau, je retrouvais le plaisir que j’avais eu avec Junior, la promenade dans l’air frais du matin naissant et dans le calme de la résidence. Nous parcourions tranquillement les petites rues bordées de villas qui laissaient déborder de leurs clôtures des massifs de bougainvilliers, d’hibiscus, de jasmin. C’est cette promenade que préférait Randy, comme Junior et comme Vigo la préférait aussi. Les autres, dans la journée, à part celle du soir, étaient rapides en raison du soleil et de la chaleur qui ne permettaient pas de baguenauder, pressés que nous étions de regagner l’ombre et la fraîcheur de la maison.
Cette année sa promenade a été quelques fois un peu perturbée. Au bas de notre immeuble, dans un petit enclos vert sur lequel donnait un appartement du rez-de-chaussée, un chien à moitié abandonné s’était installé. C’est là qu’il dormait la nuit et une partie du jour, caché dans la haie, à l’abri du grand soleil. Ce pauvre chien ressemblait à une hyène et je l’ai donc appelé « la hyène » bien que ce fût un mâle. C’était encore un jeune chien pataud et craintif et il me suffisait de montrer un doigt menaçant pour qu’il détale. Cependant, j’avais évidemment pitié de cette « hyène » abandonnée, certainement mal nourrie qui passait ses journées seules à errer et je n’ai pu m’empêcher de bêtifier et de lui parler gentiment. La « hyène » s’est donc enhardie et il s’approchait en gambadant de Randy qui, imperturbable à son habitude, continuait son chemin comme si de rien n’était. Je ne voulais pas que la « hyène » s’approche de lui et lui transmette ses puces et je m’efforçais donc de l’éloigner par mon doigt menaçant et ma voix forte ! Cette bête a très vite compris que mes menaces n’étaient pas méchantes et elles ne faisaient plus guère d’impressions. On a donc vu dans les rues de la résidence, un cortège improbable, Randy tranquille, faisant sa promenade pendant qu’avec force gestes j’essayais assez vainement de tenir la « hyène » éloignée.
J’avais encore plus de problèmes lorsque je promenais Randy avec son fils Vigo car autant Randy était calme et serein, autant Vigo était affolé par la présence de la « hyène » exubérante et joueuse. Tout en aboyant, il filait ventre à terre, où qu’il se trouve, vers la maison sans se soucier de mes appels et il me fallait donc prendre précipitamment Randy sous le bras et courir moi aussi pour essayer de le rattraper. Et l’on voyait ainsi, dans les rues de la résidence, Vigo courant à toute vitesse, en aboyant, la « hyène » derrière lui essayant vainement de jouer avec lui et moi, Randy sous le bras, courant de mon mieux, dans le petit matin, pour rejoindre la troupe !
Quelqu’un, son maître, mais en avait-il vraiment un ? avait mis autour de son cou un fil de fer en guise de collier. Il avait dû le mettre alors que « la hyène » n’était encore qu’un chiot et j’imaginais, chaque fois que je la rencontrais, qu’ayant grandi, ce fil de fer lui serrait le cou. Malheureusement la « hyène » ne se laissait pas approcher, malgré mes gestes doux et invitants et malgré les paroles bêtifiantes que je lui adressais dans l’espoir de l’amadouer. Un jour cependant, il s’approcha suffisamment pour que je me rende compte qu’effectivement ce fil de fer le blessait et qu’il avait dû faire des efforts pour s’en débarrasser, se blessant davantage. Nous prîmes donc avec Rachid et sa sœur Hamida la décision de tout faire pour lui retirer ce fil de fer. Ce ne fut pas chose simple, tant cette bête était craintive, habituée hélas à être chassée de partout. Dois-je raconter notre expédition qui pourrait paraître ridicule et que Rachid qualifia d’ailleurs de « tartarinade » pour tenter d’amadouer la « hyène ? Nous voilà partis munis d’une pince, d’un antiseptique, d’une ceinture qui pourrait nous servir de laisse et de toute notre bonne volonté. La « hyène » demeura méfiante et notre présence à trois, assez exceptionnelle, ne lui disait rien qui vaille. Ce n’est qu’au bout de plusieurs sorties, de nourritures distribuées qu’enfin nous pûmes nous saisir de la « hyène » mais elle remua tant, au risque de se blesser d’avantage, que nous dûmes renoncer et j’ai failli quitter Hammamet avec cette image de la « hyène » le cou serré dans son fil de fer. Qu’est-ce qu’il adviendra d’elle ? Je sais que plusieurs résidents se sont émus de la situation et nous avons alerté Mahbouba, notre femme de ménage, sur le cas de la « hyène ». Elle connaît tout le monde ici et elle est très respectée. Un dénommé Nabil, homme d’un certain âge, propriétaire d’un beau chien ressemblant à un Border Colley s’intéresse semble-t-il à la « hyène ». Tant mieux. Peut-être certains réussiront-ils là où nous avons échoué. C’est le cas, ce matin, j’ai constaté avec une réelle joie que la « hyène » n’avait plus au cou son collier en fil de fer et il y avait, là où elle avait été blessée, une couleur d’antiseptique. Ce fut donc l’été de la « hyène ». A force de repas apportés, la « hyène » vient maintenant vers moi, se laisse caresser, me lèche la main et je vais repartir rasséréné. La retrouverai-je l’année prochaine ? Rien n’est moins sûr. Peut-être. Et voilà donc un chien de plus qui restera dans ma mémoire.

J’aurais dû me souvenir, à cette occasion, du Petit Prince qui nous dit sagement que l’on est « responsable de ceux que l’on apprivoise » et ne pas me montrer si familier avec la « hyène ». Je savais que j’allais bientôt quitter Hammamet pour de longs mois et que je laisserais la « hyène » à son destin. Je n’aurais pas dû l’habituer à moi, mais que pouvais-je faire ?

Enfin Randy nous accompagnait à plusieurs reprises lors de nos séjours à Venise. A ma retraite, je suis devenu adepte de l’échange de logement et j’ai très souvent échangé mon appartement de Paris contre des logements dans divers pays du monde, avec, je dois le dire, une préférence pour Venise. Randy y a séjourné deux fois avec nous, toujours dans la Giudecca, ce quartier de Venise qui fait face au Palais des Doges dans un immeuble avec un grand parc dont le mur de clôture touchait à la Redentore, cette église… Par un fait du hasard, chaque fois que nous sommes arrivés à Venise avec Randy par avion ou par la route, un vent assez soutenu soufflait et une pluie serrée tombait d’un ciel bas et gris et j’ai le souvenir d’un Randy calfeutré au fond du blouson de Rachid, ne laissant apparaître en tout et pour tout que sa petite tête sur le pont du vaporetto qui nous conduisait à la station Redentore. Il ne manifestait absolument aucune crainte, se comportant comme il le faisait en toute occasion avec un calme olympien ! Je crois pouvoir dire qu’il se plaisait à Venise beaucoup plus qu’à Paris et il est vrai que c’est une ville fort agréable pour les animaux - et bien sûr pas que pour eux - en raison de l’absence totale de circulation automobile. C’est une des raisons qui fait de Venise une ville tout à fait à part, absolument unique dans le monde, aimée de tant de personnes. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je suis un amoureux inconditionnel de cette ville et si je devais m'exprimer davantage, je dirai que dans cette ville la beauté est partout, beauté des Palais mais aussi des canaux, des petites places que l’on découvre, parfois avec surprise, au hasard des pérégrinations, beauté de telle ou telle porte donnant sur un canal, de tel ou tel balcon, de tel ou tel escalier - et dieu sait s’il y en a - beauté d’un mur, quelquefois délabré par le temps, d’une entrée laissant voir un parc luxuriant, un peu en désordre, à moitié entretenu, comme je les aime. Et cette beauté partout qui nous renvoie à l’histoire avec un grand ou un petit « h ». Il n’y a pas que Venise qui a une grande histoire, dans le centre des villes aussi l’histoire est évidemment présente mais la différence c’est qu’à Venise il n’y a pas de place ou si peu pour la modernité, pas de constructions modernes, pas de tours et lorsqu’on s’avise de créer du moderne, comme la passerelle de la Liberté qui enjambe le Grand Canal, les vénitiens - et ils ont raison - manifestent, pétitionnent et brocardent.
Tant de gens sont passés à Venise, littérateurs, peintres, politiques, tant de personnes ont voulu habiter Venise ! Un matin, allant faire mon marché, je fus surpris par une pluie assez abondante dont les gouttes éclataient à la surface des canaux et obligeaient les gondoliers et leurs clients à se protéger par un parapluie. Curieusement, moi qui peste par temps de pluie, je me réjouissais ce jour-là, du spectacle et j’avais ainsi la preuve que cette ville était décidément faite pour moi.

Je crois que les vénitiens aiment les chiens et Randy, notamment dans ses promenades le long du quai de la Giudecca, rencontrait de nombreux congénères qu’il a fini par connaître. Lors d’un de nos voyages à Venise, deux chiens l’ont poursuivi sur le quai de la Giudecca, entre le Ponte longo et le Picolo ponte et un pêcheur, maître des deux chiens, s’en prît gentiment à eux en leur disant sur un air de reproche : « piccolo cane ». Allons, allons, ne vous attaquez pas à un si petit chien !
Il circulait, sans laisse. Il y avait, pas loin de notre appartement, sur la face opposée de la Giudecca, un petit parc d’où la vue s’étendait sur quelques-unes des îles environnantes où il aimait vagabonder pendant qu’assis sur un des bancs, je ne me lassais pas d’admirer la lagune. Il est arrivé plusieurs fois que, nous voyant avec un chien, ce qui n’est pas si courant chez les touristes, l’on nous prenne pour des vénitiens et que l’on demande un chemin. C’est ce qui me plaisait dans la formule des échanges d’appartement, vivre pendant un temps assez long dans une ville pour s’imprégner de ses habitudes, suivre le rythme de ses habitants, ne pas s’y comporter comme un touriste à qui le temps manque.

La Giudecca avait ceci de particulièrement attachant qu’elle se situe en face de la Venise touristique. Au sortir de notre appartement nous avions une vue directe sur le Palais des Doges, tout près à vol d’oiseau, mais il nous fallait emprunter, ce qui est un plaisir permanent, le vaporetto pour nous y rendre. Combien de fois, après avoir parcouru dans tous les sens rues et canaux de Venise, sommes-nous arrivés, heureux dans le calme de la Giudecca, oubliant tout à coup à la descente du bateau l’agitation touristique et nous retrouvant au milieu des vrais vénitiens. De là, à se croire nous-mêmes vénitiens, il n’y avait qu’un pas !

Maintenant Randy vieillit, il joue moins, il se repose davantage et lorsqu’il se lève, il s’étire pour remettre ses os en place. J’ai publié « Tombeau pour mes chiens » en 2008 et notre petit chien Randy y avait sa part. Nous l’avions depuis quatre ans et j’ai raconté comment ce petit Chihuahua avait voyagé, partout dans le monde avec nous. Rééditant ce livre je vais rajouter ces pages que j’écris en août 2018 pour ne rien oublier de la vie de ce chien qui nous a tant apporté. Né en novembre 2000, il a donc 18 ans et sa santé s’est fragilisée. En avril-mai 2007 on lui a découvert une insuffisance cardiaque et le vétérinaire a prescrit un traitement pour l’aider. Malheureusement le dosage de ces médicaments étaient trop forts et il a fait des crises de formes épileptiques très impressionnantes. J’ai encore en mémoire, comme si cela avait eu lieu hier, la première crise en mai 2017. Comme il n’y avait aucun programme intéressant à la télévision j’étais allé m’allonger et je lisais quand, tout à coup, Randy a eu des convulsions violentes au point qu’il en est tombé du lit et s’est cogné contre un mur. Je l’ai attrapé mais ne savais que faire et j’ai bien cru, à ce moment-là que sa dernière heure était arrivée. Heureusement Rachid a su quoi faire. Il l’a immobilisé contre lui en lui tenant les pattes et, petit à petit, la crise s’est calmée, laissant le petit chien très affaibli mais qui a peu à peu, repris ses esprits. Pendant tout ce temps je me souviens avoir été complètement agité, et j’ai peu dormi cette nuit-là que Rachid a passé, lui aussi à veiller Randy. Ces crises qui me laissaient sans force se sont reproduites puis espacées, puis pratiquement disparues quand Rachid à force de tâtonnements a réussi à doser les médicaments et à stabiliser le petit chien. A partir de là notre vie a changé.

Dans la crainte de ses crises et en raison de sa maladie et de la fatigue due à l’âge, nous avons renoncé à voyager : plus, de Venise, d’Hammamet ou de Paris. Nous ne pouvons quitter l’appartement que chacun notre tour car nous voulons une présence permanente auprès de Randy. Dire que cela ne nous a pas coûté serait mentir car fini les restaurants, les spectacles, les dîners chez des amis, mais ces sacrifices nous les acceptons facilement et s’il m’arrive de penser à ce que nous ferions après sa disparition, je chasse aussitôt cette idée et m’en sens coupable. Des amis compatissants s’invitent chez nous et apportent boissons et victuailles ! Comme je le dis en plaisantant et en évoquant un film : « Viens chez moi, j’habite chez une copine » !
Il a fallu aussi le sortir pour ses besoins non seulement quatre ou cinq fois dans la journée mais aussi, deux fois dans la nuit et comme il n’a plus la force, dans son demi-sommeil d’aller boire, le rituel, après ces sorties nocturnes, est de lui faire boire un peu d’eau à la seringue. On le recouche alors et il se rendort apaisé et calme.
Depuis ses crises on le couche dans notre lit pour pouvoir le surveiller et intervenir le cas échéant mais cela perturbe le sommeil de tout le monde. Nous faisons attention à ne pas le bousculer et, cependant, lors de nos mouvements la nuit il est évidement secoué. Cela a duré plusieurs mois jusqu’à ce que nous ayons l’idée d’acheter un lit pour bébé que nous avons placé au pied de notre lit. Désormais chacun peut dormir à son aise.
Ses promenades, dans la journée sont beaucoup plus courtes. Auparavant il parcourait les longues allées de la Coulée verte qui jouxte notre appartement et nous allions, tout au bout de ces allées, jusqu’à deux gros rocs qui fermaient le passage et que j’appelais, par dérision, la roche de Solutré. Désormais je le porte jusqu’au parc, enveloppé quand il fait mauvais temps dans une grande écharpe de cachemire verte, et je le pose dans le gazon où il fait quelques pas, respirant les plantes et ne prenant un peu d’animation que lorsqu’il voit un congénère. Qu’il était loin le temps des ballades dans les rues de la Giudecca, d’Hammamet ou de Paris !

J’ai une photo que je trouve très belle de Randy dans mes bras, couvert de l’écharpe verte. On ne voit que mes mains, l’écharpe verte et le museau de Randy. J’ai lancé sur le réseau Facebook un appel à création, demandant à mes amis artistes d’utiliser cette photo pour créer un tableau. Beaucoup ont répondu et trois amis, un espagnol, un australien et une amie d’Uzès m’ont promis une œuvre. Tout à coup une idée m’a envahie. Et si la réalisation de ces tableaux, un peu à la manière du portrait de Dorian Gray, signait la mort du petit Randy ! J’ai failli dire à mes artistes de traîner, de peaufiner, de retoucher, de ne pas finir ces tableaux ! Mais je n’ai pas osé le leur dire. Ils m’auraient pris pour un fou ! Un ami de Valence en Espagne, Emile Ferrer (je dis son nom avec gratitude) a réalisé une toile qui est superbe sur laquelle Randy est très ressemblant et je l’ai mise au-dessus de mon bureau.

Son appétit est devenu capricieux et certains jours il refuse de s’alimenter. Rachid passe des heures et je n’exagère pas, assis à ses côtés pour l’inciter à prendre ses croquettes une à une. Il a fallu quelques fois se résoudre à l’alimenter à la seringue avec de la nourriture liquide. Les jours où il mange de bon appétit nous nous réjouissons. Nous avons aussi constaté que lorsque son fils Vigo est en visite à Pau il reprend un rythme plus vif et mange avec appétit et sans chichi.

Rachid tient au jour le jour et heure par heure un relevé de ses médicaments, de ses sorties, de son état plus ou moins éveillé, plus ou moins agile, de ses plages de repos. Si dans mille ans on découvre ce document les archéologues se demanderont quel Roi magnifique était l’objet de tant d’attention !

N’empêche qu’à l’heure où j’écris ces lignes Randy a gagné un an de vie et dans de bonnes conditions. Il n’a plus les crises d’il y a un an. Il a aussi pris de nouvelles habitudes. L’après midi vers 17h 00 nous nous installons pour voir la télé et il aime, à ce moment-là, se coucher sur nos genoux. Même chose le soir avant la nuit, il passe toute la soirée à dormir sur un coussin sur nos genoux et lorsque nous voulons le mettre dans son lit pour qu’il y soit plus à l’aise il rouspète à sa façon en aboyant. J’entends déjà les critiques et les ricanements mais je plains ceux qui ne peuvent consentir ces petits sacrifices pour un animal qui leur donne tant !

L’état de ce petit chien m’a aussi conduit à réfléchir à l’euthanasie ; et moi, qui faisait l’esprit fort, je me suis confronté à cette décision et j’ai compris combien elle était difficile et impossible à prendre. Randy est diminué mais il ne souffre pas et les petits moments de bonheur qu’il a encore, nous ne nous voyons pas les lui supprimer. Peut-être faudra-t-il y venir s’il souffre mais ce sera vraiment en toute dernière extrémité. Encore quelques années et il nous quittera. Ainsi va la vie et quand on est aussi attaché à un animal, on ne peut s’empêcher de penser à ce moment inévitable de la séparation.


Alors, hier, 2 Juillet 2019 notre petit chien nous a quitté et nous sommes dévastés de chagrin. Ce n'était qu'un chien, diront certains, mais sans doute ne savent-ils pas qu'il y avait chez ce petit chien beaucoup d'amour et de fidélité pour ses maîtres ! Oui, ce n'était qu'un petit chien, facile à vivre qui nous a tant donné ! Nous nous consolons en nous disant que nous lui avons aussi donné beaucoup d'amour et de soins et que nous avons tout fait pour qu'il finisse sa vie le plus tranquillement possible et cela a été le cas. Maintenant nous allons penser à tous les moments où il a partagé notre vie et nos voyages un peu partout. Et je vais regarder, au dessus de mon bureau le beau portrait qu'Emilio Ferrer a fait de lui. Il nous faut maintenant du temps.