A la suite du départ de
notre Randy ce 2 juillet 2019 je place, ici, l'extrait de mon livre :
"Tombeaux pour mes chiens" où je l'évoquais et que je viens de
compléter, hélas, pas comme je l'aurai voulu.
Ceux dont je viens de me souvenir sont
tous morts et le texte correspond bien pour eux au titre que j’ai choisi «
Tombeau pour mes chiens ».
Randy dont je vais parler maintenant est
heureusement bien vivant. Il est né en 2000 mais je ne l’ai pas eu tout de
suite. Il appartenait à mon amie Annie qui, après que je l’ai gardé quelques
fois, m’a proposé de l’adopter. Elle avait d’autres chiens, elle en avait
toujours eu mais elle emménageait dans un appartement et ne souhaitait plus les
garder tous. J’ai beaucoup hésité, je venais de prendre ma retraite et mes
projets étaient de voyager. La présence d’un chien allait m’encombrer. J’ai
finalement accepté et je ne l’ai jamais, jusqu’à ce jour, regretté. C’est un
chien que je n’aurais jamais dû avoir. Dans mon discours à mes confrères lors
de mon départ à la retraite, je les avais fait rire en leur disant que mon
métier d’avocat m’avait rendu sédentaire par nécessité et que désormais j’irais
de ville en ville, de pays en pays au gré de mes envies. La formule que j’avais
alors employée avait fait mouche. « Je vais devenir un spoutnik tournant autour
du monde. Je vais essayer, après avoir été un avocat passable de devenir un bon
conducteur de spoutnik. » Le seul problème de ces engins est que parfois ils se
désagrègent en atterrissant. A l’heure où j’écris ces lignes, le « spoutnik »
tourne encore et le moment de l’atterrissage brutal ou en douceur n’a pas
encore sonné. Randy me posa donc un problème car il est quelquefois malaisé de
transporter un chien dans un « spoutnik » et l’on se souvient de la pauvre
Laïka, envoyée dans le ciel, qui mourut dans son engin demeuré sur orbite.
Randy était si petit qu’il ne gênait personne en voyage ou ailleurs, petit au
point qu’en m’amusant je me posais la question devant lui de savoir s’il était
un chien-lapin ou un lapin-chien.
Mais avant d’évoquer les voyages de Randy,
je voudrais rendre hommage à son intelligence. Tous les chiens sont
intelligents, leurs maîtres unanimement vous le confirmeront bien sûr et mes
précédents chiens l’étaient aussi. N’est-ce pas Aïnos qui a réussi par sa «
comédie », son agitation, ses allers et retours frénétiques pour alerter ma
mère, un jour que je me suis trouvé bloqué à l’extérieur sans mes clefs, à
renter chez moi ?
Quant à Randy, pour en revenir à lui, nous
avons d’abord noté un sens aigu de l’observation et n’est-ce pas là le premier
élément d’un raisonnement intelligent ? Ainsi dès que notre vie prenait un tour
différent de l’ordinaire - la plupart du temps nous avions une vie tranquille
et réglée - parce que nous nous apprêtions à recevoir des amis à dîner ou parce
que nous préparions un départ en voyage, Randy, dès les tous premiers
préparatifs, commençait à manifester, à s’agiter, à aller et venir et ne
retrouvait son calme que lorsque les événements qu’il avait devinés étaient en
train de se réaliser. Vie tranquille que nous menions !
Dans les soirs d’hiver notamment, nous
étions souvent, en fin d’après-midi, dans nos fauteuils face à la télévision et
vers dix-neuf heures, Rachid partait vers la cuisine pour préparer le repas du
soir. S’il lui arrivait de tarder un peu, Randy s’asseyait alors face à lui et
le fixait, tentant avec insistance de croiser son regard. Alors, semblait-il
dire, à quelle heure allez-vous manger ce soir ? Il apparaît trop clairement,
de ces petits faits anodins, que nous étions en réalité gouvernés par un petit
chien de trois kilos huit !
Il y avait aussi chez Randy un don assez
mystérieux et supérieur à l’observation que j’appellerais, faute de mieux, de
la prescience ou de la transmission de pensée que Rachid résumait en soutenant
que Randy était équipé d’un système Wifi dans la tête. Ainsi, quand l’un de
nous sortait, Randy, quelques temps avant son retour, s’installait sur un
fauteuil de l’entrée dans la position d’un sphinx d’Egypte et l’on pouvait être
sûr alors que l’absent allait bientôt être là. Comment Randy agissait-il ? Ce
n’est pas qu’il entendait un bruit familier car il prenait sa position
d’attente bien longtemps avant que le revenant ait pu faire retentir un bruit
quelconque. Le Wifi avait fonctionné !
J’ai vu, il y a quelques semaines, un
reportage télévisé qui expliquait que des scientifiques s’intéressaient à ce
phénomène qui est, à ce qu’il paraît, très fréquent chez les animaux et pas
uniquement chez les chiens. Un professeur anglais constatant ces phénomènes
conclut à la « transmission de pensée ».
Ces scientifiques auraient sans doute été
heureux de se pencher sur les réactions de Randy lors de l’opération à laquelle
nous avons donné le nom de code « d’opération de la mule du pape ». Puisque
nous œuvrons pour la science, essayons d’être précis !
Tous les deux mois environ, Rachid coupait
les ongles de Randy qui poussaient assez vite et qui, reconnaissons-le, ne
s’usaient pas beaucoup sur le sol, habitué qu’était ce chien à ne fouler que
moquette et tapis ! Randy avait horreur de cette manucure et il se débattait,
ce qui ne rendait pas la chose aisée, alors surtout qu’assez lâchement, j’en
conviens, je ne voulais pas le tenir pendant l’affaire. Rachid avait alors eu
l’idée de confectionner une sorte de harnais en toile qui permettait de le
suspendre, ses quatre pattes offertes au coupe ongles.
Quand il était ainsi suspendu, les pattes
dans le vide, il me faisait penser à la malheureuse mule du pape. Vous vous
souvenez sans doute du conte d’Alphonse Daudet. La mule du pape, au temps où il
y avait un pape en Avignon, était, un beau jour, montée tout en haut d’une tour
d’où elle avait vu, avec effroi, les avignonnais danser sur le fameux pont
comme de petites fourmis. Mais il avait bien fallu la faire redescendre et là,
laissons parler le conteur : « Il fallut la descendre avec un cric, des cordes,
une civière. Et vous pensez quelle humiliation pour la mule d’un pape de se
voir pendue à cette hauteur, nageant des pattes dans le vide comme un hanneton
au bout d’un fil. Et tout Avignon qui la regardait ».
Cette humiliation ressentie par la mule,
Randy, sans être le fils d’un pape, la ressentait aussi lorsqu’il se retrouvait
les quatre pattes pendantes et sans appui, livré sans possibilité de réaction,
aux mains de son vétérinaire personnel ! C’est vous dire qu’il redoutait
beaucoup cette opération « mule du pape » et je peux vous assurer que le Wifi
fonctionnait, à ce moment-là, à plein régime. Au moment où Rachid avait
programmé l’opération, sans qu’il en ait parlé, avant même qu’il n’ait fait un
seul geste pour sortir ses instruments de torture, Randy, averti je ne sais
comment, se mettait à trembler comme une feuille au vent et se réfugiait près
de moi, son dernier rempart, croyait-il à tort. Ses tremblements redoublaient
lorsque Rachid récupérait son nécessaire. Mais contrairement à la mule du pape,
Randy n’en gardait aucune rancune à Rachid. Bien au contraire, il lui faisait
peu après moult léchages, ce que Rachid considérait comme le paiement par carte
rose !
Il en est de même pour ses séances de
shampoings qu’il n’apprécie guère. Le jour où Rachid décidait de lui donner son
bain et avant même qu’il n’ait sorti ses flacons, ses brosses, ses serviettes
de bains et son sèche-cheveux, Randy venait se réfugier tremblotant dans mon
bureau dans l’espoir que je lui épargne l’épreuve. Je vous livre et je livre à
la science ces faits bruts, tels qu’ils se sont déroulés à de nombreuses
reprises et qui, pour moi, à ce jour encore, demeurent inexplicables et
mystérieux.
Alors que je l’évoque dans un texte qui
concerne mes chiens disparus, me revient en mémoire. A Pau nous avons la chance
d’avoir au pied de notre immeuble un grand parc, la « coulée verte » qui nous
donne une vue dégagée sur de la verdure et qui était pour Randy un véritable
paradis. C’est là qu’il faisait régulièrement ses promenades, ayant ses
circuits habituels, celui du matin et celui du soir, rencontrant ses
congénères. Par prudence je ne le laissais approcher que par les chiens, petits
ou grands, que je connaissais et dont je savais qu’ils n’étaient pas dangereux.
Quand un chien s’annonçait à l’horizon, Rachid demandait s’il était « connu des
services de police » c'est-à-dire s’il avait déjà rencontré Randy sans
animosité. Ce n’est que dans ce cas que la rencontre était autorisée et, dans
le cas contraire, nous prenions Randy sous le bras et passions notre chemin.
Il n’y avait pas que des chiens dans ce
parc mais aussi des oiseaux divers et notamment des pies assez familières. Un
jour, l’une d’elle, plus audacieuse que les autres, bien ou mal intentionnée,
poursuivit Randy qui était à peine plus gros qu’elle. Comme toujours, Randy,
toujours ignorant du danger qu’il n’avait jamais connu, l’ignora superbement.
Ce n’était pas les oiseaux d’Hitchcock et snobée par Randy, la pie finit par
s’envoler voir ailleurs !
Il faut aussi que j’écrive sur ce petit
fait, insignifiant sans doute, mais qui m’a marqué. Cela s’est produit un
après-midi de novembre 2009 alors que je promenais Randy dans le parc près de
notre appartement. Il pleuvait cette après-midi-là et le vent soufflait. La
neige était tombée assez bas sur les Pyrénées comme nous pouvions le voir de
nos fenêtres. Un temps d’hiver avant l’heure où il fait bon se calfeutrer.
Immédiatement en sortant du porche de l’immeuble un petit chat roux est apparu
dont j’ai tout de suite vu le poil mouillé et qui aussitôt s’est mis à miauler.
Randy qui a toujours été très calme avec les chats a continué, imperturbable,
sa promenade et le petit chat s’est mis à nous suivre, rassuré par ce petit
chien tranquille, en miaulant à fendre l’âme. D’un côté, Randy revêtu de son
manteau écossais et de l’autre ce petit chat de sept à huit mois, mouillé par
la pluie qui n’avait cessé de tomber. Le chat s’est enhardi et il est venu se
frotter contre ma jambe. Que devais-je faire ? Il n’était pas question que je
l’adopte. Nous avions déjà quelques difficultés à bouger avec Randy à qui je
voulais éviter de trop fréquents et dépaysants voyages. Il n’était donc pas
question de s’encombrer d’un chat. Mais je ne pouvais pas non plus me résoudre
à faire comme si de rien n’était et à le laisser là dehors dans ce mauvais
temps. Comme la pluie continuait, j’ai pris ce chat sous le bras et je suis
rentré. Nous l’avons séché, il a bu un peu de lait et a commencé à découvrir
l’appartement suivi par Randy de plus en plus étonné. Rachid m’a fait remarquer
qu’il se comportait calmement, sans crainte et il en a déduit que ce n’était
pas un chat abandonné. Il avait dû seulement échapper à ses maîtres. Il était
préférable de le remettre à proximité de l’endroit où je l’avais trouvé. Dès
que la pluie s’est arrêtée, je suis redescendu le chat sous le bras et je l’ai
laissé. C’était plus raisonnable mais j’ai passé une très mauvaise fin
d’après-midi et dès que la pluie recommençait à tomber je pensais au petit chat
roux en espérant qu’il ait retrouvé sa maison mais imaginant aussi qu’il était
encore là à errer sous la pluie et dans le froid. Quand je suis ressorti avec
Randy, en fin de soirée, pour la dernière promenade habituelle avant la nuit,
j’ai regardé partout pour voir si je ne retrouvais pas le petit chat roux. Il
n’y avait personne et j’ai espéré que ce petit chat sans nom, apparu un instant
dans ma vie, avait trouvé un havre de tranquillité et de chaleur. Cela doit
être le cas.
Pour le moment et je m’en réjouis, Randy
est bien vivant mais lorsqu’il disparaîtra ce qui est inévitable, je pourrai me
dire que j’ai tout fait, oui vraiment tout, pour qu’il ait une vie de chien
heureux. N’ai-je pas dans le fond, calqué mon emploi du temps sur le sien ? Ne
m’est-il pas arrivé de rentrer plus vite chez moi parce que c’était l’heure de
sa promenade ? Je sais que beaucoup vont trouver cela excessif et, sans doute,
n’auront-ils pas tort. Jamais je ne me suis occupé autant d’un animal. Je
vivais, je peux le dire même si cela parait excessif à certains, au rythme de
ce petit chien. Ses promenades constituaient autant de contraintes à mon propre
emploi du temps et j’essayais, autant que possible, chez moi ou en voyage, de
respecter son rythme, même si pour cela il me fallait écourter un plaisir. Mon
ami Rachid, un jour que nous étions très en retard, me dit en plaisantant : «
Randy est en train d’appeler le numéro vert des animaux abandonnés ! ». Depuis
c’est devenu entre nous une plaisanterie et, désormais, chaque fois que nous
sommes en retard sur le rythme de Randy, je mime un appel téléphonique.
Randy avec lequel nous vivons beaucoup,
étant tous les deux à la retraite, avait observé comme le font tous les
animaux, nos habitudes. Il faut croire qu’elles étaient bien établies puisqu’il
précédait souvent nos propres actes. Cela avait un côté très amusant car il
donnait alors l’impression de nous dicter notre conduite, de diriger notre vie.
C’est ainsi qu’en début de soirée nous étions souvent devant la télévision,
assis dans nos fauteuils et, à un moment, Rachid se levait pour aller préparer
le dîner. Il est arrivé maintes fois que Randy vienne, lorsque l’heure était
arrivée, se planter devant Rachid, les yeux dans les yeux, ne le lâchant pas,
avec l’air de lui dire : « c’est le moment, le dîner ne va se faire tout seul !
». Il ne lâchait le regard de Rachid que lorsque ce dernier se levait pour se
diriger vers la cuisine et là, Randy, heureux d’avoir été enfin compris,
faisait des bonds en le suivant. Nous plaisantions en nous disant que nous
étions dirigés par un animal de trois kilos !
Venons-en au Randy voyageur. Dans la
première partie de sa vie chez mes amis, Annie et Maurice, Randy n’a pas voyagé
et il a vécu paisiblement dans une maison et dans son parc mais à partir du
moment où il fut avec moi, moment qui coïncida avec ma retraite, il devint un
grand voyageur. Il a connu la voiture bien sûr mais aussi l’avion et le bateau
et il s’est toujours comporté comme s’il avait fait cela toute sa vie. Pour
dire vrai, cela n’est pas tout-à-fait exact. Autant il a immédiatement accepté
les voyages en avion et leurs contraintes, autant lors des premières traversées
en bateau, il a ressenti quelques craintes lorsque nous le promenions sur le
pont et qu’il devait affronter le vent du large et le bruit des puissants
moteurs. Lors de la première traversée il nous inquiéta n’ayant pas pu faire
ses besoins pendant tout le trajet de vingt-deux heures. Chaque année, je
passais quelques semaines à Paris et c’est là, je dois le dire, qu’il était le
moins heureux, n’appréciant pas les bruits de la ville et regrettant sans doute
le parc dans lequel à Pau il faisait ses promenades quotidiennes et où il avait
ses habitudes et ses connaissances. A Paris, difficile de trouver des espaces
verts et il devait se contenter pour ses promenades et pour ses besoins d’une
petite rue où très peu de véhicules circulaient. Autant dire qu’il manifestait
sa joie lorsque nous étions de retour à Pau.
En Tunisie, à Hammamet où nous passions le
plus souvent deux mois de l’année, il s’adaptait très bien ; il avait la joie
de retrouver son fils Vigo et passait quelques temps avec lui. Au moment de la
rencontre et pendant quelques jours, c’était entre eux l’exubérance la plus
totale et j’en arrivais même à redouter que le cœur de Randy devenu vieux ne
lâchât dans un de ces moments de liesse. Puis ces quelques jours passés, voués
à la joie des retrouvailles, les deux chiens reprenaient leurs tranquillités et
menaient leur vie de compères, manifestement heureux d’être ensemble. Ces
moments en commun constituaient pour Randy une véritable cure de jouvence et,
sa jeunesse retrouvée, il semblait oublier ses vieux maîtres ! Chaque année se
posait alors pour moi la même question. Ne devrais-je pas le laisser en Tunisie
où il était si heureux avec son fils ? Et chaque année, je ne pouvais m’y
résoudre et il faisait le voyage de retour avec nous. Distrait par le
mouvement, il n’avait pas le temps de regretter son fils, ce qui n’était pas le
cas dans d’autres situations où il se retrouvait seul tout à coup et pendant
deux jours il semblait alors un peu déprimé comme nous le sommes en général
après une agréable rencontre qui se termine, cette légère dépression des
lendemains de fêtes. Puis, bien sûr, tout reprenait son train normal.
De nouveau, je retrouvais le plaisir que
j’avais eu avec Junior, la promenade dans l’air frais du matin naissant et dans
le calme de la résidence. Nous parcourions tranquillement les petites rues
bordées de villas qui laissaient déborder de leurs clôtures des massifs de
bougainvilliers, d’hibiscus, de jasmin. C’est cette promenade que préférait
Randy, comme Junior et comme Vigo la préférait aussi. Les autres, dans la
journée, à part celle du soir, étaient rapides en raison du soleil et de la
chaleur qui ne permettaient pas de baguenauder, pressés que nous étions de
regagner l’ombre et la fraîcheur de la maison.
Cette année sa promenade a été quelques
fois un peu perturbée. Au bas de notre immeuble, dans un petit enclos vert sur
lequel donnait un appartement du rez-de-chaussée, un chien à moitié abandonné
s’était installé. C’est là qu’il dormait la nuit et une partie du jour, caché
dans la haie, à l’abri du grand soleil. Ce pauvre chien ressemblait à une hyène
et je l’ai donc appelé « la hyène » bien que ce fût un mâle. C’était encore un
jeune chien pataud et craintif et il me suffisait de montrer un doigt menaçant
pour qu’il détale. Cependant, j’avais évidemment pitié de cette « hyène »
abandonnée, certainement mal nourrie qui passait ses journées seules à errer et
je n’ai pu m’empêcher de bêtifier et de lui parler gentiment. La « hyène »
s’est donc enhardie et il s’approchait en gambadant de Randy qui, imperturbable
à son habitude, continuait son chemin comme si de rien n’était. Je ne voulais
pas que la « hyène » s’approche de lui et lui transmette ses puces et je
m’efforçais donc de l’éloigner par mon doigt menaçant et ma voix forte ! Cette
bête a très vite compris que mes menaces n’étaient pas méchantes et elles ne
faisaient plus guère d’impressions. On a donc vu dans les rues de la résidence,
un cortège improbable, Randy tranquille, faisant sa promenade pendant qu’avec
force gestes j’essayais assez vainement de tenir la « hyène » éloignée.
J’avais encore plus de problèmes lorsque
je promenais Randy avec son fils Vigo car autant Randy était calme et serein,
autant Vigo était affolé par la présence de la « hyène » exubérante et joueuse.
Tout en aboyant, il filait ventre à terre, où qu’il se trouve, vers la maison
sans se soucier de mes appels et il me fallait donc prendre précipitamment
Randy sous le bras et courir moi aussi pour essayer de le rattraper. Et l’on
voyait ainsi, dans les rues de la résidence, Vigo courant à toute vitesse, en
aboyant, la « hyène » derrière lui essayant vainement de jouer avec lui et moi,
Randy sous le bras, courant de mon mieux, dans le petit matin, pour rejoindre
la troupe !
Quelqu’un, son maître, mais en avait-il
vraiment un ? avait mis autour de son cou un fil de fer en guise de collier. Il
avait dû le mettre alors que « la hyène » n’était encore qu’un chiot et
j’imaginais, chaque fois que je la rencontrais, qu’ayant grandi, ce fil de fer
lui serrait le cou. Malheureusement la « hyène » ne se laissait pas approcher,
malgré mes gestes doux et invitants et malgré les paroles bêtifiantes que je
lui adressais dans l’espoir de l’amadouer. Un jour cependant, il s’approcha
suffisamment pour que je me rende compte qu’effectivement ce fil de fer le
blessait et qu’il avait dû faire des efforts pour s’en débarrasser, se blessant
davantage. Nous prîmes donc avec Rachid et sa sœur Hamida la décision de tout
faire pour lui retirer ce fil de fer. Ce ne fut pas chose simple, tant cette
bête était craintive, habituée hélas à être chassée de partout. Dois-je
raconter notre expédition qui pourrait paraître ridicule et que Rachid qualifia
d’ailleurs de « tartarinade » pour tenter d’amadouer la « hyène ? Nous voilà
partis munis d’une pince, d’un antiseptique, d’une ceinture qui pourrait nous
servir de laisse et de toute notre bonne volonté. La « hyène » demeura méfiante
et notre présence à trois, assez exceptionnelle, ne lui disait rien qui vaille.
Ce n’est qu’au bout de plusieurs sorties, de nourritures distribuées qu’enfin
nous pûmes nous saisir de la « hyène » mais elle remua tant, au risque de se
blesser d’avantage, que nous dûmes renoncer et j’ai failli quitter Hammamet
avec cette image de la « hyène » le cou serré dans son fil de fer. Qu’est-ce
qu’il adviendra d’elle ? Je sais que plusieurs résidents se sont émus de la
situation et nous avons alerté Mahbouba, notre femme de ménage, sur le cas de
la « hyène ». Elle connaît tout le monde ici et elle est très respectée. Un
dénommé Nabil, homme d’un certain âge, propriétaire d’un beau chien ressemblant
à un Border Colley s’intéresse semble-t-il à la « hyène ». Tant mieux.
Peut-être certains réussiront-ils là où nous avons échoué. C’est le cas, ce
matin, j’ai constaté avec une réelle joie que la « hyène » n’avait plus au cou
son collier en fil de fer et il y avait, là où elle avait été blessée, une
couleur d’antiseptique. Ce fut donc l’été de la « hyène ». A force de repas
apportés, la « hyène » vient maintenant vers moi, se laisse caresser, me lèche
la main et je vais repartir rasséréné. La retrouverai-je l’année prochaine ?
Rien n’est moins sûr. Peut-être. Et voilà donc un chien de plus qui restera
dans ma mémoire.
J’aurais dû me souvenir, à cette occasion,
du Petit Prince qui nous dit sagement que l’on est « responsable de ceux que
l’on apprivoise » et ne pas me montrer si familier avec la « hyène ». Je savais
que j’allais bientôt quitter Hammamet pour de longs mois et que je laisserais
la « hyène » à son destin. Je n’aurais pas dû l’habituer à moi, mais que
pouvais-je faire ?
Enfin Randy nous accompagnait à plusieurs
reprises lors de nos séjours à Venise. A ma retraite, je suis devenu adepte de
l’échange de logement et j’ai très souvent échangé mon appartement de Paris
contre des logements dans divers pays du monde, avec, je dois le dire, une
préférence pour Venise. Randy y a séjourné deux fois avec nous, toujours dans
la Giudecca, ce quartier de Venise qui fait face au Palais des Doges dans un
immeuble avec un grand parc dont le mur de clôture touchait à la Redentore,
cette église… Par un fait du hasard, chaque fois que nous sommes arrivés à
Venise avec Randy par avion ou par la route, un vent assez soutenu soufflait et
une pluie serrée tombait d’un ciel bas et gris et j’ai le souvenir d’un Randy
calfeutré au fond du blouson de Rachid, ne laissant apparaître en tout et pour
tout que sa petite tête sur le pont du vaporetto qui nous conduisait à la
station Redentore. Il ne manifestait absolument aucune crainte, se comportant
comme il le faisait en toute occasion avec un calme olympien ! Je crois pouvoir
dire qu’il se plaisait à Venise beaucoup plus qu’à Paris et il est vrai que
c’est une ville fort agréable pour les animaux - et bien sûr pas que pour eux -
en raison de l’absence totale de circulation automobile. C’est une des raisons
qui fait de Venise une ville tout à fait à part, absolument unique dans le monde,
aimée de tant de personnes. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je suis
un amoureux inconditionnel de cette ville et si je devais m'exprimer davantage,
je dirai que dans cette ville la beauté est partout, beauté des Palais mais
aussi des canaux, des petites places que l’on découvre, parfois avec surprise,
au hasard des pérégrinations, beauté de telle ou telle porte donnant sur un
canal, de tel ou tel balcon, de tel ou tel escalier - et dieu sait s’il y en a
- beauté d’un mur, quelquefois délabré par le temps, d’une entrée laissant voir
un parc luxuriant, un peu en désordre, à moitié entretenu, comme je les aime.
Et cette beauté partout qui nous renvoie à l’histoire avec un grand ou un petit
« h ». Il n’y a pas que Venise qui a une grande histoire, dans le centre des
villes aussi l’histoire est évidemment présente mais la différence c’est qu’à
Venise il n’y a pas de place ou si peu pour la modernité, pas de constructions
modernes, pas de tours et lorsqu’on s’avise de créer du moderne, comme la passerelle
de la Liberté qui enjambe le Grand Canal, les vénitiens - et ils ont raison -
manifestent, pétitionnent et brocardent.
Tant de gens sont passés à Venise,
littérateurs, peintres, politiques, tant de personnes ont voulu habiter Venise
! Un matin, allant faire mon marché, je fus surpris par une pluie assez
abondante dont les gouttes éclataient à la surface des canaux et obligeaient
les gondoliers et leurs clients à se protéger par un parapluie. Curieusement,
moi qui peste par temps de pluie, je me réjouissais ce jour-là, du spectacle et
j’avais ainsi la preuve que cette ville était décidément faite pour moi.
Je crois que les vénitiens aiment les
chiens et Randy, notamment dans ses promenades le long du quai de la Giudecca,
rencontrait de nombreux congénères qu’il a fini par connaître. Lors d’un de nos
voyages à Venise, deux chiens l’ont poursuivi sur le quai de la Giudecca, entre
le Ponte longo et le Picolo ponte et un pêcheur, maître des deux chiens, s’en
prît gentiment à eux en leur disant sur un air de reproche : « piccolo cane ».
Allons, allons, ne vous attaquez pas à un si petit chien !
Il circulait, sans laisse. Il y avait, pas
loin de notre appartement, sur la face opposée de la Giudecca, un petit parc
d’où la vue s’étendait sur quelques-unes des îles environnantes où il aimait
vagabonder pendant qu’assis sur un des bancs, je ne me lassais pas d’admirer la
lagune. Il est arrivé plusieurs fois que, nous voyant avec un chien, ce qui
n’est pas si courant chez les touristes, l’on nous prenne pour des vénitiens et
que l’on demande un chemin. C’est ce qui me plaisait dans la formule des
échanges d’appartement, vivre pendant un temps assez long dans une ville pour
s’imprégner de ses habitudes, suivre le rythme de ses habitants, ne pas s’y
comporter comme un touriste à qui le temps manque.
La Giudecca avait ceci de particulièrement
attachant qu’elle se situe en face de la Venise touristique. Au sortir de notre
appartement nous avions une vue directe sur le Palais des Doges, tout près à
vol d’oiseau, mais il nous fallait emprunter, ce qui est un plaisir permanent,
le vaporetto pour nous y rendre. Combien de fois, après avoir parcouru dans
tous les sens rues et canaux de Venise, sommes-nous arrivés, heureux dans le
calme de la Giudecca, oubliant tout à coup à la descente du bateau l’agitation
touristique et nous retrouvant au milieu des vrais vénitiens. De là, à se
croire nous-mêmes vénitiens, il n’y avait qu’un pas !
Maintenant Randy vieillit, il joue moins,
il se repose davantage et lorsqu’il se lève, il s’étire pour remettre ses os en
place. J’ai publié « Tombeau pour mes chiens » en 2008 et notre petit chien
Randy y avait sa part. Nous l’avions depuis quatre ans et j’ai raconté comment
ce petit Chihuahua avait voyagé, partout dans le monde avec nous. Rééditant ce
livre je vais rajouter ces pages que j’écris en août 2018 pour ne rien oublier
de la vie de ce chien qui nous a tant apporté. Né en novembre 2000, il a donc
18 ans et sa santé s’est fragilisée. En avril-mai 2007 on lui a découvert une
insuffisance cardiaque et le vétérinaire a prescrit un traitement pour l’aider.
Malheureusement le dosage de ces médicaments étaient trop forts et il a fait
des crises de formes épileptiques très impressionnantes. J’ai encore en
mémoire, comme si cela avait eu lieu hier, la première crise en mai 2017. Comme
il n’y avait aucun programme intéressant à la télévision j’étais allé
m’allonger et je lisais quand, tout à coup, Randy a eu des convulsions
violentes au point qu’il en est tombé du lit et s’est cogné contre un mur. Je
l’ai attrapé mais ne savais que faire et j’ai bien cru, à ce moment-là que sa
dernière heure était arrivée. Heureusement Rachid a su quoi faire. Il l’a
immobilisé contre lui en lui tenant les pattes et, petit à petit, la crise
s’est calmée, laissant le petit chien très affaibli mais qui a peu à peu,
repris ses esprits. Pendant tout ce temps je me souviens avoir été complètement
agité, et j’ai peu dormi cette nuit-là que Rachid a passé, lui aussi à veiller
Randy. Ces crises qui me laissaient sans force se sont reproduites puis
espacées, puis pratiquement disparues quand Rachid à force de tâtonnements a
réussi à doser les médicaments et à stabiliser le petit chien. A partir de là
notre vie a changé.
Dans la crainte de ses crises et en raison
de sa maladie et de la fatigue due à l’âge, nous avons renoncé à voyager :
plus, de Venise, d’Hammamet ou de Paris. Nous ne pouvons quitter l’appartement
que chacun notre tour car nous voulons une présence permanente auprès de Randy.
Dire que cela ne nous a pas coûté serait mentir car fini les restaurants, les
spectacles, les dîners chez des amis, mais ces sacrifices nous les acceptons
facilement et s’il m’arrive de penser à ce que nous ferions après sa
disparition, je chasse aussitôt cette idée et m’en sens coupable. Des amis
compatissants s’invitent chez nous et apportent boissons et victuailles ! Comme
je le dis en plaisantant et en évoquant un film : « Viens chez moi, j’habite
chez une copine » !
Il a fallu aussi le sortir pour ses
besoins non seulement quatre ou cinq fois dans la journée mais aussi, deux fois
dans la nuit et comme il n’a plus la force, dans son demi-sommeil d’aller
boire, le rituel, après ces sorties nocturnes, est de lui faire boire un peu
d’eau à la seringue. On le recouche alors et il se rendort apaisé et calme.
Depuis ses crises on le couche dans notre
lit pour pouvoir le surveiller et intervenir le cas échéant mais cela perturbe
le sommeil de tout le monde. Nous faisons attention à ne pas le bousculer et,
cependant, lors de nos mouvements la nuit il est évidement secoué. Cela a duré
plusieurs mois jusqu’à ce que nous ayons l’idée d’acheter un lit pour bébé que
nous avons placé au pied de notre lit. Désormais chacun peut dormir à son aise.
Ses promenades, dans la journée sont
beaucoup plus courtes. Auparavant il parcourait les longues allées de la Coulée
verte qui jouxte notre appartement et nous allions, tout au bout de ces allées,
jusqu’à deux gros rocs qui fermaient le passage et que j’appelais, par
dérision, la roche de Solutré. Désormais je le porte jusqu’au parc, enveloppé
quand il fait mauvais temps dans une grande écharpe de cachemire verte, et je
le pose dans le gazon où il fait quelques pas, respirant les plantes et ne
prenant un peu d’animation que lorsqu’il voit un congénère. Qu’il était loin le
temps des ballades dans les rues de la Giudecca, d’Hammamet ou de Paris !
J’ai une photo que je trouve très belle de
Randy dans mes bras, couvert de l’écharpe verte. On ne voit que mes mains,
l’écharpe verte et le museau de Randy. J’ai lancé sur le réseau Facebook un
appel à création, demandant à mes amis artistes d’utiliser cette photo pour
créer un tableau. Beaucoup ont répondu et trois amis, un espagnol, un
australien et une amie d’Uzès m’ont promis une œuvre. Tout à coup une idée m’a
envahie. Et si la réalisation de ces tableaux, un peu à la manière du portrait
de Dorian Gray, signait la mort du petit Randy ! J’ai failli dire à mes
artistes de traîner, de peaufiner, de retoucher, de ne pas finir ces tableaux !
Mais je n’ai pas osé le leur dire. Ils m’auraient pris pour un fou ! Un ami de
Valence en Espagne, Emile Ferrer (je dis son nom avec gratitude) a réalisé une
toile qui est superbe sur laquelle Randy est très ressemblant et je l’ai mise
au-dessus de mon bureau.
Son appétit est devenu capricieux et
certains jours il refuse de s’alimenter. Rachid passe des heures et je
n’exagère pas, assis à ses côtés pour l’inciter à prendre ses croquettes une à
une. Il a fallu quelques fois se résoudre à l’alimenter à la seringue avec de
la nourriture liquide. Les jours où il mange de bon appétit nous nous
réjouissons. Nous avons aussi constaté que lorsque son fils Vigo est en visite
à Pau il reprend un rythme plus vif et mange avec appétit et sans chichi.
Rachid tient au jour le jour et heure par
heure un relevé de ses médicaments, de ses sorties, de son état plus ou moins
éveillé, plus ou moins agile, de ses plages de repos. Si dans mille ans on
découvre ce document les archéologues se demanderont quel Roi magnifique était
l’objet de tant d’attention !
N’empêche qu’à l’heure où j’écris ces
lignes Randy a gagné un an de vie et dans de bonnes conditions. Il n’a plus les
crises d’il y a un an. Il a aussi pris de nouvelles habitudes. L’après midi
vers 17h 00 nous nous installons pour voir la télé et il aime, à ce moment-là,
se coucher sur nos genoux. Même chose le soir avant la nuit, il passe toute la
soirée à dormir sur un coussin sur nos genoux et lorsque nous voulons le mettre
dans son lit pour qu’il y soit plus à l’aise il rouspète à sa façon en aboyant.
J’entends déjà les critiques et les ricanements mais je plains ceux qui ne
peuvent consentir ces petits sacrifices pour un animal qui leur donne tant !
L’état de ce petit chien m’a aussi conduit
à réfléchir à l’euthanasie ; et moi, qui faisait l’esprit fort, je me suis
confronté à cette décision et j’ai compris combien elle était difficile et
impossible à prendre. Randy est diminué mais il ne souffre pas et les petits
moments de bonheur qu’il a encore, nous ne nous voyons pas les lui supprimer. Peut-être
faudra-t-il y venir s’il souffre mais ce sera vraiment en toute dernière
extrémité. Encore quelques années et il nous quittera. Ainsi va la vie et quand
on est aussi attaché à un animal, on ne peut s’empêcher de penser à ce moment
inévitable de la séparation.
Alors, hier, 2 Juillet 2019 notre petit
chien nous a quitté et nous sommes dévastés de chagrin. Ce n'était qu'un chien,
diront certains, mais sans doute ne savent-ils pas qu'il y avait chez ce petit
chien beaucoup d'amour et de fidélité pour ses maîtres ! Oui, ce n'était qu'un
petit chien, facile à vivre qui nous a tant donné ! Nous nous consolons en nous
disant que nous lui avons aussi donné beaucoup d'amour et de soins et que nous
avons tout fait pour qu'il finisse sa vie le plus tranquillement possible et
cela a été le cas. Maintenant nous allons penser à tous les moments où il a
partagé notre vie et nos voyages un peu partout. Et je vais regarder, au dessus
de mon bureau le beau portrait qu'Emilio Ferrer a fait de lui. Il nous faut
maintenant du temps.
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