samedi 30 janvier 2021

Cécile Vargaftig En URSS avec Gide

                                                   


Le livre que vient de publier chez Arthaud Cécile Vargaftig « En URSS avec Gide » est difficile à qualifier. Il porte en sous-titre : « Mon journal » et il est vrai que l’auteur mêle tout au long des pages l’évocation du voyage de Gide en URSS et l’analyse de sa propre vie et surtout des rapports qu’elle a entretenu avec son père, communiste et poète.

Ce qui m’a attiré vers ce livre et ce pourquoi je l’ai lu c’est évidemment parce que je voulais connaître davantage ce voyage que fit Gide en URSS et sur ce point je n’ai pas été déçu.

On suit de très prés l’évolution de Gide sur la question du communisme. ON sait qu’il a été fortement intéressé par la Révolution de 17 et qu’il a regardé avec intérêt les objectifs affichés de ce mouvement avec lequel il a « sympathisé ». Il a voulu croire et a cru à un meilleur possible. Il a fait confiance.

A partir de là les autorités soviétiques, Staline en tête, ont souhaité le faire venir en Russie et ont espéré que le « grand écrivain » (Gide jouissait d’une énorme audience) apporterait son concours et servirait la propagande du régime.

On suit dans le livre la préparation du voyage, on en apprend sur ceux, parmi les amis de Gide, qui feront le voyage avec lui : Pierre Herbart qui a l’initiative, Jef Last, Guilloux, Eugene Dabit. Georges Shiffrin, Elisabeth Van Rysselberghe qui est l’épouse de Pierre Herbart mais aussi la mère de la fille de Gide, Catherine.

Nous suivons les étapes de ce voyage qui commence mal par la mort à Moscou du poète Maxime Gorki (assassiné ?) puis la mort d’Eugène Dabit.

Très vite Gide se sent mal à l’aise, il perçoit la fausseté de ce voyage où ce qu’on lui montre ne correspond pas à la réalité qu’il découvre. Il est frappé par ce qu’il appelle la « dépersonnalisation », le culte de la personnalité poussé à l’extrême, la naissance d’une nouvelle classe. Il écrit : « ce que l’on demande à présent c’est l’acceptation, le conformisme » et le conformisme, il est vrai, ce n’est pas pour plaire à André Gide, l’homme libre !

L’ouvrage de Cécile Vargaftig met l’accent sur l’entourage homosexuel de Gide (à part Louis Guilloux et Joseph Shiffrin) dans un pays qui lutte contre cette « déviance ».

A son retour Gide écrira d’abord « Retour d’URSS » et très vite après pour répondre à ses nombreux détracteurs : « Retouches à mon retour d’URSS » et l’auteur cite cette phrase de Gide qui dit tout : « tôt ou tard, vos yeux s’ouvriront ;ils seront bien forcés de s’ouvrir. Alors vous vous demanderez, vous les honnêtes : comment avons-nous pu les maintenir fermés si longtemps. » Oui Gide a raison : comment ?

 

mardi 26 janvier 2021

Docteur Jivago: Le roman du roman

                                       


J’ai vu et même plusieurs fois le film tiré du roman de Boris Pasternak : Le Docteur Jivago avec Omar Sharif mais je n’avais jamais lu le roman lui-même et je vais évidement le lire. J’avais aussi été très intéressé par un documentaire passionnant qui montrait de quelle manière ce roman, condamné par les autorités soviétiques qui en refusaient la publication avait franchi clandestinement le rideau de fer pour être finalement publié à l’Ouest.

J’ai donc appris avec intérêt la publication chez Robert Laffont du roman de Lora Prescott « Nos secrets trop bien gardés » consacrée à cette affaire.

Le roman se situe aux Etats-Unis et en URSS au temps de la guerre froide et du rideau de fer et dans le milieu de l’espionnage et de la propagande, plus exactement dans le pool dactylographique d’une Agence Américaine où se trouvaient des secrétaires qui étaient aussi, quelques fois, agent secret.

En URSS nous rencontrons Boris Pasternak au moment où il écrit le Docteur Jivago, Olga sa maîtresse, celle qui lui a inspiré sa Lara,  habite non loin de chez lui et  a subi trois ans de camp, le pouvoir voulant ,par cette mesure, faire pression sur l’auteur. Toute l’horreur et souvent l’imbécilité du pouvoir tyrannique est décrite.

En Italie, à Milan, nous écoutons l’histoire de cet éditeur qui décide de publier le Docteur Jivago avant même que l’URSS ait autorisé sa publication dans le pays.

Aux Etats-Unis nous voyons comment les services secrets veulent utiliser ce livre dans leur lutte contre l’URSS.

Ainsi le roman paraitra d’abord en Europe dans différentes langues puis il s’agira pour les Services d’en faire faire une bonne traduction en russe et de faire parvenir clandestinement le livre en Russie. Cela sera fait au moment de La Foire internationale de Bruxelles qui recevra des visiteurs russes.

Une des belles scènes de ce roman : le jour où Boris Pasternak apprend qu’il a le prix Nobel de littérature, le jour où le pouvoir fait pression sur lui pour qu’il refuse et qu’il écrit, avec courage aux Nobel ce télégramme : « Infiniment reconnaissant, Touché, fier, stupéfait et confus. »

Malgré les menaces il a accepté.

La persécution a continué.

Le roman met aussi en scène la vie personnelle des femmes de l’Agence, les « dactylos » « espionnes » qui ont œuvré dans l’ombre pour que ce grand roman soit connu partout et en ce sens ce roman est aussi celui du pouvoir de la littérature.

Dans un remerciement l’auteur nous donne ses sources et rend donc encore plus crédible ce qu’elle écrit.


Je place ici un court texte paru sur Facebook relatant la relation d'Albert Camus avec Boris Pasternak.


 L'émouvante correspondance d'Albert Camus et de Boris Pasternak.

*Il est faux de dire que les frontières n'existent pas. Ils existent, temporairement. Mais en même temps, il existe une force de créativité et de vérité qui nous unit tous, dans l'humilité et la fierté à la fois.
*Quelques mois après qu'Albert Camus ait reçu le prix Nobel de littérature en 1957 - ce qui l'a incité à envoyer une belle lettre de gratitude à son professeur d'enfance - il écrivit au grand poète et traducteur soviétique Boris Pasternak ( 10 février 1890-30 mai 1960). Camus était devenu enchanté par l'œuvre de Pasternak pour les raisons mêmes - l'élégance intellectuelle, la pensée critique, un esprit socialiste indépendant - qui avaient poussé le gouvernement soviétique à garder un œil critique sur l'écrivain russe et à menacer progressivement ses libertés civiles.
*Habitué aux amitiés improbables , Camus traversait le rideau de fer, traversait la langue, la culture, la politique et l'âge, avec une large offrande d'appréciation et d'encouragement à un homme qu'il n'avait jamais rencontré mais qu'il ressentait profondément comme une âme sœur . Pasternak, l'aîné de Camus de près d'un quart de siècle, a répondu par un reflet d'admiration merveilleusement généreux.
*Le 9 juin 1958 - peu de temps après la publication française du Docteur Jivago de Pasternak et quelques mois seulement avant que Pasternak lui-même ne reçoive le prix Nobel de littérature, que le Parti communiste russe humilié l'a forcé à refuser - Camus écrit :
Cher Boris Pasternak,
René Char, qui est mon meilleur ami, m'a donné votre adresse car il connaît l'amitié et l'admiration que je porte depuis longtemps à votre travail et à l'homme que l'on sent vivre en lui. Je voulais juste vous envoyer un petit texte dont la seule importance est celle d'un signe lointain, mais fidèle, à votre égard. Nous sommes quelques-uns en France à vous connaître, à partager votre vie, d'une certaine manière. Moi qui ne serais rien sans le XIXe siècle russe. Je retrouve en toi la Russie qui m'a nourri et m'a donné la force. Il est faux de dire que les frontières n'existent pas. Ils existent, temporairement. Mais en même temps il existe une force de créativité et de vérité qui nous unit tous, dans l'humilité et la fierté à la fois. Je n'ai jamais ressenti cela plus qu'en vous lisant et c'est pourquoi je tiens à vous exprimer ma gratitude et ma solidarité.Je vous envoie, à vous et auxvôtres, des vœux chaleureux pour votre travail et votre grand pays. Je te serre la main.
Albert Camus
lettre de Pasternak à Camus.
Cher Monsieur Camus,
J'ai peine à en croire mes yeux en t'écrivant, Camus. Une nouvelle page s'est ouverte dans ma vie, celle d'avoir acquis le prétexte, le droit, la chance de vous dire ma joie et ma gratitude pour la nuance particulière du jeu de la pensée universelle d'aujourd'hui, [de vous dire] qu'il est dû à toi.
J'ai rarement le temps de lire ce que j'aime et ce qui m'intéresse. Kafka, Faulkner, toujours pas lus, attendez que je les prenne sur l'étagère de la bibliothèque. Remembrance of Things Past » est interrompu à la fin de « Sodome et Gomorrhe ». je jubile. Je vous félicite d'avoir écrit une prose dont la lecture devient un véritable voyage : on visite les lieux que vous décrivez, on vit les situations relatées, on les ressent pour les personnages principaux… Ma nouvelle amitié, si j'ose dire, avec vous… est une un bonheur indicible, et un enchantement, un conte de fées. J'attrape le souffle inconcevable du jardin à l'aube. Je veux surprendre le mystère de l'éclipse verte du feuillage dense, et je pense à René Char, qui est tout cela. Ou bien je médite sur l'originalité absolue de l'art et sur quelle est la tâche de l'art,plutôt que de la philosophie — saisir l'essence de la vie et le dire de façon palpable… Et vous vous inquiétez de ce qui peut m'arriver et vous oubliez qu'aucun prix ne suffit à cette nouvelle parenté qui vaut infiniment d'être vécue et même subie. Merci, merci pour tout.
*****Pasternak est mort d'un cancer du poumon deux ans plus tard - moins de cinq mois après la mort de Camus .
S: Anton Foek.
Peut être une image en noir et blanc de 2 personnes et personnes debout


 

 

lundi 11 janvier 2021

A propos de Jean Grenier

                                                                                            


   

Jean Grenier a été le professeur de philo d’Albert Camus à Alger, au Lycée Bugeaud. Il a donc connu Camus lorsque ce dernier n’avait que 17 ans et leur amitié a duré tout le long de la vie de Camus.

Camus, on le sait, a eu la chance de rencontrer dans sa vie beaucoup de personnes et il avait le sens de l’amitié. Ila échangé avec ces personnes une correspondance abondante qui a, pour l’essentiel, était publiée.

Mais, en réalité, il y a deux rencontres qui furent déterminantes car elles modifièrent le destin d’Albert Camus.

Il y eut d’abord celle de son instituteur à l’école primaire de la rue Aumerat dans le quartier de Belcourt à Alger (le quartier pauvre) Louis Germain. Cet instituteur fit son possible pour que Camus, malgré la pauvreté de sa famille puisse aller au Lycée, lui qui était destiné à devenir apprenti puis, sans doute ouvrier ou employé.

On se souvient de la magnifique lettre que Camus adressa a Louis Germain lorsqu’il apprit qu’il recevait le Prix Nobel de Littérature et que l'on pourra écouter ici. Il lui dédia aussi le discours qu’il prononça en Suède à cette occasion.

La deuxième rencontre capitale fut celle de Jean Grenier son professeur de philosophie au Lycée d’Alger. Camus n’avait alors que 17 ans et il cherchait sa voix comme tous les jeunes gens. Grenier l’aida beaucoup, d’abord en l’orientant en littérature, en lui faisant découvrir les idées et le militantisme politique. C’est Jean Grenier qui conseilla a Camus d’adhérer au parti communiste algérien même si Camus s’en détacha rapidement. On lira dans une des lettres de Camus la façon dont il évoque ce conseil de Jean Grenier et pourquoi il a accepté d'adhérer. 

Jean Grenier en plus d’être professeur écrivait et, évidemment, c’est vers lui que se tourna Camus lorsqu’il eut, lui-même, envie d’écrire.

Il soumit à Jean Grenier ses premiers textes et, il y a dans la correspondance (Camus-Grenier) une lettre très émouvante dans laquelle Camus demande des conseils et si, vraiment, il doit continuer à écrire. (p.29)

La lecture de cette correspondance est captivante et montre la grande maturité qu’avait le jeune Camus autour de sa vingtième année. Elle est également intéressante car elle suit de très près la vie de Camus et elle nous donne le regard qu’avait Camus sur cette vie, ses difficultés et ses joies. Cette correspondance est un très bon complément aux biographies de l’auteur et l’on y sent la vie même se dérouler si l’on peut dire.

On constate que Camus a toujours soumis ces textes au regard de Grenier et a, le plus souvent, tenu compte de ses observations. On y voit aussi toutes les difficultés (alimentaires, de communication etc.) dues à la guerre. Cette correspondance nous fait aussi toucher du doigt la maladie de Camus et les différents séjours et soins qu’il doit faire.

Parallèlement à cette correspondance il faut lire le livre de souvenirs que Jean Grenier publia après la mort de Camus et intitulé sobrement : Albert Camus.

Ce livre s’ouvre sur la visite que Jean Grenier rendit à Albert à Belcourt après avoir appris qu’il était souffrant. La rencontre permet à Jean Grenier de constater la situation de la famille et elle ne se passe pas très bien, Albert restant muet et presque hostile.

Dans une lettre, beaucoup plus tard, Jean Grenier demanda à Camus s’il se souvenait de cette rencontre et Camus lui fit cette réponse émouvante : « Oui, je me souviens de votre visite à Belcourt. Aujourd’hui encore je peux me rappeler tous les détails. Peut-être, absolument parlant, représentiez-vous la Société. Mais vous étiez venu et de ce jour-là j’ai senti que je n’étais pas aussi pauvre que je le pensais. » (Correspondances p.78)

Et plus longuement encore dans une lettre du 18 septembre 1951 Camus s'explique sur cette rencontre: "Vous y auriez lu alors que le très jeune homme dont l'accueil à Belcourt, vous a surpris, était surtout suffoqué de timidité et de reconnaissance parce que vous étiez venu jusqu'à lui. Cela est si vrai que, de cette visite qui vous a laissé si désorienté, date la fidélité que je vous ai gardée pendant vingt ans et qui ne se démentira pas." (p. 179)

Camus a donc toujours admiré et respecté Jean Grenier et lors de la réédition prévue des Îles il accorda Une préface très élogieuse dans laquelle il compare l’effet des Îles à celles des Nourritures terrestres de Gide.

Et pour se faire une idée de Jean Grenier j’ai lu aussi : La mort d'un chien car celui qui écrit un tel livre ne peut pas être mauvais. Il ‘agit d’une élégie (texte de deuil et de regret)

 

 

 

vendredi 8 janvier 2021

Barbara Cassin: Le bonheur, sa dent douce à la mort

                                         


Barbara Cassin a publié en 2020 (Editions Fayard) : Le bonheur, sa dent douce à la mort. Autobiographie philosophique. Le titre est tiré d’un vers d’Arthur Rimbaud et c’est ce qui a attisé ma curiosité et m’a conduit à acheter et à lire ce livre. Je ne connaissais pour ainsi dire rien de cette femme et seulement qu’elle était philosophe et avait été reçue à l’Académie Française. J’ai appris en lisant ce livre qu’elle était la petite-nièce de René Cassin, ce grand juriste auteur avec d’autres de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme.

Quant au livre c’est un mélange d’éléments épars de biographie, des brins de vie et de réflexions sur le langage, sur la philosophie grecque, notamment. Je dirai que tous les développements proprement philosophiques ou philologiques me sont passés au-dessus de la tête et moi, qui aime la clarté, j’ai peu apprécié ce que j’appellerai, peut être par erreur, du jargon !

Deux développements m’ont, par contre beaucoup intéressés : tout ce qui concerne l’analyse que fait l’auteur de la procédure de réconciliation en Afrique du Sud et les dernières pages, émouvantes, consacrées à la mort et notamment celle de son mari atteint d’un cancer du cerveau.

Ne serait-ce que pour ces pages ce livre mérite d’être lu.

mardi 5 janvier 2021

René Victor Philes: La nuit de Zelemta


 

J’ai lu ce roman de René-Victor Philes, « La nuit de Zelemta » lors de sa parution en 2016 mais je n’en avais pas fait alors une critique. 

Je viens de le relire et je l’ai, à nouveau beaucoup aimé. Ce roman est le récit par un vieux curé de l’époque où tout jeune, il se trouvait en Algérie pour son service en qualité d’aumônier. Il avait reçu les confidences d’un jeune lieutenant, très grièvement blessé, alors qu’ils se trouvaient tous les deux à Beni-Saf au bord de la mer dans la région d’Oran.

Le jeune lieutenant, né à Beni-Saf, plus âgé que le curé avait retracé sa courte vie, ses études au Lycée Pierre de Fermat à Toulouse, sa rencontre déterminante à la prison avec le militant algérien Abane Ramdane et ses combats en Algérie. Ce jeune lieutenant, prêt de mourir de ses blessures, s’était pris de sympathie pour le jeune aumônier qu’il appelait affectueusement « Petit curé ».

Ce roman est l’occasion de revenir sur la colonisation, la guerre, la révolution algérienne vue des deux côtés et l’auteur a l’immense mérite, à mes yeux, d’être juste autant qu’on peut l’être à l’égard de tous : des algériens dont ils montrent les raisons de leurs révoltes, mais aussi des pieds-noirs, trompés et aveuglés par des années de propagande.

Et puis l’on en arrive à cette nuit de Zelemta au cours de laquelle le jeune lieutenant, conscient que de toute manière la guerre est perdue, n’arrête pas Abane Ramdane alors que cela aurait été son devoir. Cette nuit de Zelemta le hantera, lui fera prendre tous les risques dans les combats, attitude suicidaire qui, finalement réussit puisqu’ »il mourra en 1960 de ses blessures après avoir avoué au « petit curé ».

Plus tard le vieux curé écrira : « Moi seul, au bord de cette tombe, savais les tourments et tortures que le lieutenant emportait avec lui. Mais je ne me faisais aucun souci sur sa rédemption et l’accueil que lui réserverait Notre-Seigneur »

C’est un roman très émouvant qui se termine sur ce vieux curé qui, éloigné du monde, lit Albert Camus. « Tournant les pages de mon exemplaire fatigué du Mythe de Sisyphe de cet Albert Camus, compagnon jusqu’au bout du lieutenant, que lis-je, tout à coup, qui mouille mes vielles paupières ? Ceci : « L’instant du désespoir est unique, pur, sûr de lui-même, sans pitié dans les conséquences, son pouvoir est sans merci » Oui, sans merci.