mercredi 31 octobre 2018

Robert Badinter: Idiss

La première fois que j'ai vu Robert Badinter c'était en 1974. J'avais participé à l'équipe de Madame Lazerges lors  de son agrégation et à la suite de l'épreuve nous nous étions retrouvé, si ma mémoire est bonne, au cabinet de Robert Badinter et Jean Denis Bredin. Puis j'ai suivi de loin sa carrière d'avocat,sa carrière politique et j'ai lu ses livres, notamment "L'abolition" et " L’exécution"deux ouvrages magnifiques sur son combat contre la peine de mort. Autant dire que j'ai une immense admiration pour cet homme et ses combats.
Robert Badinter vient de publier aux Editions Fayard Idiss un livre d'hommage a sa grand mère maternelle et voilà que ,grâce a ce livre, j'entre dans l'intimité de cet homme. L'histoire intime ,mêlée à la grande et tragique histoire, nous fait découvrir un monde oublié, celui d'une partie des juifs d'Europe centrale ,obligés de fuit leur pays (ici la Bessarabie ) en raison d'un antisémitisme d'Etat et en raison des persécutions et des pogroms. Tout cette partie ,tragique , de la vie de sa grand mère Idiss est très bien racontée avec, au milieu des difficultés, ses joies et ,notamment son mariage d'amour et la naissance de ses enfants : deux fils et une fille, Charlotte, la mère de Robert Badinter.
Puis vient le grand départ et l'arrivée à Paris de cette famille pauvre. On mesure les difficultés mais , aussi, le répit car s'il existe , a cette époque un antisémitisme en France,  ce n'est rien par rapport a celui que cette famille a fui.
S'ouvre alors une période heureuse , seulement marquée pour Idiss par la mort de son mari adoré, et où la famille prend peu à peu sa place, travaille et il y a de belles pages sur l'enseignement, sur l'instituteur M.Martin (Le monsieur Germain de Camus) sur le lycée et les prix reçus par Robert et son frère Claude.
Puis, de nouveau le drame de la guerre, les vexations de l'odieux régime de Vichy et le départ vers la zone libre. Ce départ donne lieu a des pages bouleversantes, la mère de Robert Badinter étant déchirée à l'idée de devoir quitter sa mère atteinte d'un cancer pour rejoindre, avec ses fils, son mari en zone libre. Et le livre se termine par la mort d'Idiss dans son appartement à Paris, entouré de son seul fils.
Voilà qu'avec ce livre il me semble connaître un peu mieux Robert Badinter et la sensibilité qu'il y montre, me le fait admirer, encore un peu plus, si cela est possible. Et voici ma video sur ce livre et aussi cet entretien accordé à l'Express par l'auteur et, enfin.

mercredi 24 octobre 2018

Samama Chikli

Une amie en provenance de Tunisie vient de m'offrir un beau livre paru en 2000 aux Editions Simpact et consacré à : "Semama Chikli: un tunisien à le rencontre du XX° siècle." C'est essentiellement un livre de photos anciennes puisque l'homme dont il est question est un des pionniers en la matière et qu'il s''est intéressé ,non seulement à la photo, mais a toutes les inventions que le siècle voyait apparaître. Ce juif tunisien ,issu d'une famille venant de l'Andalousie au moment de la Reconquista, faisait partie de la bourgeoisie riche (son père était avait un poste important auprés du Bey) et l’intéressé fut également ami d'un Bey et partagea avec lui la passion pour cette technique et cet art naissant.
Il eut une jeunesse aventureuse et fit de nombreux voyages très loin de la Tunisie et il ,n'est , dés lors ,pas étonnant que son épitaphe au Cimetière Borgel ou il est enterré  dise " Inlassable dans la curiosité, téméraire dans le courage, audacieux dans l'entreprise, obstiné dans l'épreuve, résigné dans le malheur, il laisse des amis »
Il est considéré comme un des premiers cinéaste de Tunisie.
Livre passionnant donc et qui nous fait revivre cette Tunisie si ouverte et ou a communauté juive était parfaitement intégrée et se considérait comme Tunisiens à part entière. Comme tout cela a ,hélas ,bien changé sous les coups de l'histoire et de la politique.
Le MUCEM de Marseille lui a rendu récemment hommage en diffusant un documentaire sur cet homme

mercredi 3 octobre 2018

David Diopp : Frères d'âme

C'est un roman puissant et , d'une certaine manière éprouvant, que vient de publier David Dopp aux Editions du Seuil. C'est un premier roman et il est déjà sur de nombreuses listes de prix et reçoit une critique positive.( Voir celle de Tahar Benjeloun ) et encore et enfin voilà sa présentation par l'auteur
Nous sommes pendant la première guerre ,la grande boucherie de 14-18 et le romancier nous parle de ces soldats africains, ici sénégalais, qui ont combattu dans l'armée française et dont le courage a été maintes fois souligné mais aussi la férocité au point que l'armée les employait pour terroriser l'ennemi.
Mais comme nous sommes dans un roman ce ne sont pas de grandes batailles qui sont décrites même si quelques notes campent bien le décor terrible,la boue et le sang, mais plutôt les états d'âme d'un soldat sénégalais.Le roman débute le jour où ce soldat perd son compagnon, son "plus que frère"dans des conditions atroces, éventré, les tripes sorties du corps et dans d'affreuses douleurs. Cet ami, ce "plus que frère" demande au soldat de le tuer pour lui éviter la souffrance et  l'indignité. Il ne le fera pas et la première partie du livre est consacrée aux remords de ce soldat qui n'a pas achevé son camarade malgré ses supplications au nom de je ne sais quel devoir.
"Ah Mademba Diop! Ce n'est que quand tu t'es éteint que j'ai vraiment commencé a penser. Ce n'est qu'à ta mort, au crépuscule, que j'ai su, j'ai compris que je n'écouterais plus la voix du devoir, la voix qui ordonne, la voix qui impose la voie. mais c'était trop tard."
Accablé par ce qu'il n'a pas fait il va devenir un soldat plus féroce encore et va vouloir faire "payer" la mort de son ami et dans les combats il s'en prendra aux ennemis qu'il éventrera et dont il ramera le fusil et la main coupée.
Il va finir par faire peur même a ses coreligionnaires qui le prendront pour un sorcier!
Ce livre est donc un roman sur les horreurs de la guerre, un de plus, mais original et j'ai aimé la façon dont l'auteur nous dit les deux formes de folie dans ce genre de guerre: la folie qu'il faut aux soldats pour sortir des tranchées et se lancer sous la mitraille, sachant que beaucoup ne reviendront pas et l'autre folie, la permanente celle du héros du roman.
Son comportement fait tellement peur qu'il est renvoyé , en permission, à l'arrière pour y être soigné. Et cette deuxième partie du roman est l'occasion pour lui de se souvenir de sa vie avant la guerre dans son petit village du Sénégal, de ses parents, de ses voisins et de la famille se de son ami "plus que frère" qui l'adopte lorsque sa mère quitte son père. Cette partie du roman est pleine de douceur et contraste avec la première mais se termine mal car , si j'ai bien compris, il tue la fille du médecin qui le soigne. Les horreurs de la guerre l'ont complètement détruit. Ce livre qui figurait dans la liste de nombreux prix a finalement obtenu le Goncourt des lycéens et il a eu droit a une belle remise du prix à l'Elysée.