Après avoir lu avec beaucoup d'intérêt "Meursault contre enquête sorte de suite au roman célèbre de Camus L'étranger et son livre de chroniques Mes indépendances je viens de terminer son dernier livre,un roman Zabor ou les psaumes paru il y a quelques jours chez Actes Sud comme les précédents.
Ce roman est dans une veine nouvelle et se présente comme une sorte de conte (mais on aimerait en connaître le côté autobiographique!) dans lequel un jeune, dans un village reculé d'Algérie mène une vie à part car il a un don, du moins le croit- il et le croit- on autour de lui, celui de faire reculer la mort en écrivant sur ceux autour desquels rode la faucheuse.
Ce jeune éloigné par son père remarié dés son plus jeune âge vit chez une tante célibataire et son vieux grand père dans un village aux portes du sud. Cette tante qui ne s'est jamais mariée passe une partie de son temps devant des films de la télévision en noir et blanc et le jeune narrateur lui traduit les sous-titre en français comme le jeune Albert Camus traduisait a sa grand mère les sous titre des films muets de l'époque.... Ce village colonial avec un bas et un haut, avec ses maisons pas finies, avec son cimetière européen abandonné où se retrouvent quelques jeunes désœuvrés ou voulant boire en cachette, avec ses clôtures faites de figuiers de barbarie vit dans une sorte de léthargie et seule l'imagination permet au jeune narrateur de s'en accommoder.
A cause de son don il se rend, à la demande de la famille, auprés de son père mourant, celui-là même qui l'a exilé dans la maison du bas avec sa tante pour qu'il tente d'éloigner la mort en écrivant.
Voilà le cadre mais l'essentiel est une réflexion sur la langue ou plutôt sur les langues et sur l'écriture. D'abord les deux langues de son enfance, l'arable littéraire de l'école et l'arable courant de la maison.En ce qui concerne l'arable littéraire il écrit "Jamais je ne parvins a en faire un rite; ce n'est ni sa faute ni la mienne mais celle de ceux qui la présentèrent comme un bâton et pas comme un voyage,comme un langage de Dieu à peine permis aux hommes, et cela me rebuta dés mon enfance. La vérité est qu'elle était mal enseignée, par des gens frustes aux regards durs. Rien qui puisse ouvrir la voie au désir."
Par ailleurs le concours avec l'arabe dialectal va ,aussi, l'écarter de ces langues. "D'un coup,parce que passibles d'être désignés par deux langues (dont l'une est celle de Hadjer,qui continue de dérouler sa parole derrière la porte), les arbres de la maison,les murs, la vigne, les cuillères et même le feu prirent un visage étranger. C'est de là que datent ma maladie et mes premiers tourments"
Il va ensuite lire de vieux livres laissés par les français et il fait dans ce roman un très bel éloge de la lecture qui, dans le fond l'a constitué.
"Pourquoi écrit-on et lit - on des livres? Pour s'amuser répond la foule, sans discernement.Erreur;la nécessité est plus ancienne,plus vitale.Parce qu'il y a la mort,il y a une fin, et donc un début qu'il nous appartient de restaurer en nous,une explication première et dernière"
Et ce qui va l'amener à écrire ce sont quelques livre et,en premier lieu Robinson Crusoé et son perroquet, un vieux livre "La chair de l’orchidée" qui va l'éveiller a la sensualité, les Mille et une nuits à l'imagination mais aussi, peut être, un traumatisme né du mouton sacrifié sous ses yeux un Aïd Kebir, traumatisme qu'il décrit si fortement!
Ce don de l'écriture est aussi une prison pour lui :"Je savais que j'étais prisonnier de mon don et d' Aboukir ( L'Algérie!),que je ne pouvais pas quitter ni rester immobile et inactif. Voyageur par l'imaginaire je devais y demeurer pour maintenir en vie les miens, les façades des murs, les vielles maisons, les arbres et les enfants malades et les poteaux et même les cigognes et les objets incongrus." (N'est-ce pas là le destin de Kamel Daoud lui-même menacé mais demeurant dans son pays?)
Ce roman est foisonnant et il mérite d'être lu et relu et comme tous les grands textes on n'en épuise pas tout le sens. La critique (en voilà une première) et une seconde que j'attends va y trouver beaucoup de ce qu'est aujourd'hui Kamel Daoud cet intellectuel intellectuel courageux et engagé qui a réussi a s'extraire d'un milieu qui ne devait pas le conduire là où il est aujourd'hui et c'est cette métamorphose qu'il nous présente dans ce conte qui est aussi, selon moi, une sorte d'autobiographie, un roman de la formation, un peu les Mots de Jean Paul Sartre ou Si le grain ne meurt de Gide mais en moins direct.
Et, par un de ces hasards extraordinaire ,j'ai vu, ce soir un film magnifique tiré d'un roman de l’australien Markus Suzak :"La voleuse de livres" qui, en évoquant ,lui aussi ,la force des mots, du langage et des livres entre en résonance avec le roman de Kamel Daoud. Il y a des scènes (celle ou l’héroïne lit à côté du jeune juif très malade) qui ressemblent beaucoup a des scènes du roman de Daoud.
Voici enfin un entretien de Kamel Daoud a propos de son livre sur France culture
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire