Jean Birnbaum vient de publier
au Seuil un essai intitulé : « Le courage de la nuance » dans
lequel , après avoir constaté que, notamment sur les réseaux sociaux, les
discussions étaient tout sauf nuancées et qu’elles relevaient plus de l’anathème
et de l’exclusion que d’un réel dialogue, étudie un certain nombres d’écrivains et intellectuels qui,
selon lui, ont été des personnes de dialogue et de nuance.
Le livre s’ouvre sur le cas
d’Albert Camus dont on cite souvent deux phrases qui caractériseraient sa
pensée :
-« Si il y avait un parti
des gens qui doutent j’en ferai partie » et « Mal nommer une chose
c’est ajouter au malheur du monde ».
Et il est vrai qu’Albert Camus
a souvent été critiqué parce qu’il n’était dans aucun moule et qu’il refusait
les simplifications idéologiques outrancières. Si on l’a si mal compris sur
l’Algérie c’est bien qu’il était, en effet, dans la nuance. Il condamnait la
colonisation et la façon dont le pouvoir traitait les algériens (et il l’a fait
dés sa jeunesse avec courage) mais d’un autre côté il ne comprenait pas que les
européens d’Algérie, souvent assez pauvres comme l’était sa mère, ne puisse pas
trouver une place dans ce pays. Mais ces nuances qu’il apportait sur la
question algérienne il les avait, aussi, sur l’Allemagne après la guerre.
L’auteur évoque aussi un grand
écrivain, peut-être un peu oublié Georges Bernanos. Voilà un écrivain
monarchiste actif, antisémite qui va , au début admirer l’action de Franco en
Espagne mais qui, très vite va accepter de voir les crimes odieux commis par
les militaires et par l’Eglise. Dans ses « Grands cimetières sous la
lune » il va condamner sans ambiguïté cette action de la droite espagnole,
acceptant nous dit l’auteur de voir et
ne se contentant pas de slogan et d’idéologie.
Les pages consacrées a
Germaine Tillon sont également très belles et nous montre un esprit éclairé
refusant ,elle aussi, les idéologies meurtrières avec sur la question
algérienne la même analyse que celle de Camus.
Je ne suis pas sûr que le
titre sois bien choisi et que la nuance soit vraiment ce qui caractérise ces
différents intellectuels. J’y vois plus une grande lucidité liée à des valeurs
solides qui leur permettent de d’y « voir clair », de ne pas se
laisser embrigader par des idéologies. Mais quand ils ont vu clair ils ne sont
pas dans la nuance et défendent avec force leurs valeurs. Et d’ailleurs l’auteur ne cite-t-il pas cette
phrase de Raymond Aron selon laquelle « la lucidité est la première loi de
l’esprit. » ?
L’auteur nous amène aussi à
réfléchir sur cette attitude très dangereuse pour la pensée qui consiste à
dire : « Vous ne pouvez pas dire cela car vous faites le jeu de
l’ennemi »Ne pas faire « le jeu de l’ennemi » conduit souvent ,
en effet, à ne pas voir ou à ne pas dire ce qu’il faudrait voir ou dire.
Les intellectuels qu’il évoque
n’ont pas eu peur de « faire le jeu de l’ennemi » ils ont fait primer
leurs valeurs.
Il y a un lien évident entre
tous ces intellectuels et cela les oppose à toute cette intelligentsia qui s’est
si gravement trompé sur le communisme puis sur la maoïsme. Pas étonnant qu’Anah
Arendt ait clairement dit qu’elle admirait Albert Camus et qu’elle n’avait rien
appris de Sartre !
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