Les rapports d’ Albert Camus avec l’ Algérie son pays natal ont fait l’ objet
de très nombreuses études et, de fait, je pense qu’ il n’ est pas possible de
connaître Camus, de comprendre sa pensée sans connaître ce lien primordial, ce
lien premier, ce lien constituant.
Lorsque l’ Algérie est devenu indépendante ses
nouveaux dirigeants avec à leur tête Taieb Ibrahimi ont en quelque sorte
excommunié Albert Camus. Son crime : n’ avoir pas été pour l’
indépendance du pays tout en ayant été, chacun est bien forcé de l’ admettre en
lisant ces articles et chroniques et ce depuis :Misère en Kabylie dans les années 1930, c est à dire très tôt, anticolonialiste.
Il faut lire sur ce point un texte émouvant de Mouloud
Feraoun :
« Vous êtes bien jeune, monsieur, quand le sort des populations
musulmanes vous préoccupez déjà. À cette époque-là, moi qui suis de votre âge,
je m'exerçais à faire correctement ma classe et je gagnais sans doute plus que
vous. Vous étiez bien jeune et votre voix bien faible, il m'en souvient.
Lorsque je lisais vos articles dans Alger Républicain, ce journal des
instituteurs, je me disais : « Voilà un brave type. » Et j'admirais votre
ténacité à vouloir comprendre, votre curiosité faite de sympathie, peut-être
d'amour. Je vous sentais tout près de moi, si fraternel et totalement dépourvu
de préjugés ! "
On a donc expliqué ce refus d’envisager l’ indépendance de
l’Algérie par son attachement viscéral à ce pays, à sa conviction que beaucoup
d’européens quelques fois très pauvres comme sa famille, n’avaient exploité
personne et avaient eux-mêmes été plutôt victimes de la propagande et des
agissements des politiques français et, enfin, de l’ impossibilité, pour lui, de se
voir exilé de ce pays. Il voulait cependant qu’ " réparation éclatante
soit accordé aux Algériens » et dans le Premier homme il y a ce fameux
texte sur la nécessité de « rendre la terre ».
Il y a du vrai dans ces analyses mais je pense, aujourd'hui,
après beaucoup de réflexion, qu’ il y a une autre raison qui se surajoute à celle de
l’amour du pays et que l’ on évoque pas souvent.
Ce refus de l’indépendance ( au demeurant totalement
irréaliste) est fondé, me semble-t-il, sur les bases essentielles de sa
philosophie autrement dit aux sentiments s’ajoute la raison dans ce refus de
voir survenir l’indépendance du pays.
C’ est un livre récent de Roger Vetillard qui m’ a
amené à cette analyse que je n’ ai vu exprimer nulle part de manière claire et
nette. (Roger Vétillard. La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? Ed.
Atlantis. 2020.)
Ce livre de M. Vetillard montre, en résumé, en
se fondant sur des écrits et sur des déclarations des dirigeants de la guerre d’
indépendance ,que l’ objectif poursuivi était de créer un État islamiste
dans lequel les non-musulmans ne seraient pas les bienvenus.
Ces déclarations et cet objectif n’ a pas été
clairement perçu car les dirigeants pour s’ attirer l’ aide
internationale mettaient aussi en avant le nationalisme et même le communisme
très porteur à cette époque.
Or il résulte notamment d’ une lettre de Camus à Jean
Grenier en février 1956 qu’ il a eu clairement conscience de cet objectif
qui entraînait dans sa foulée l’ exclusion des européens et des juifs
algériens, c’est-à-dire des non-musulmans. Il écrit ,en effet, à Jean Grenier : "Les musulmans ont de folles exigences:
une nation algérienne indépendante où les Français seront considérés comme des
étrangers à moins qu'ils ne se convertissent à l'Islam."
Or Albert Camus en matière politique a
lutté, comme personne ,contre le totalitarisme sous toutes ses formes et sur le
communisme dans l’ homme révolté.
Dès lors il est assez clair qu’ il ne pouvait soutenir
une guerre qui, selon lui, mènerait ce pays soit au totalitarisme
communiste soit au totalitarisme islamiste.
Je dirai qu’ il s’ est trompé , non pas sur cette
analyse, l’ avenir a amplement démontré
qu’effectivement l’Algérie allait basculer rapidement soit, à un moment, vers
le collectivisme (utopie et mode de l’époque) soit aussi vers l’islamisme et
allait , en tous cas, rejeter le monde pluriel et libre mais il s’est trompé, par
contre, sur la force de la volonté
d'indépendance du peuple algérien qui a fait que le peuple pouvait presque tout
accepter pour atteindre cette indépendance et qu’aveuglé par son envie
légitime d’indépendance, il ne voyait pas les évolutions prévisibles ou ne les
pensait pas dangereuse pour l’avenir.
Il faut ajouter qu'Albert Camus a beaucoup écrit pour condamner le terrorisme, des écrits théoriques et sa pièce Les justes et que ,pour cette raison encore, il ne pouvoir soutenir ceux qui utilisaient le terrorisme dont il disait qu'il "gâchait" toutes les causes.
Si cette analyse de la position d’Albert Camus est la
bonne ,il est clair qu’il ne l’a pas suffisamment exprimé et, de là, est venu
cette idée qu’il était hostile à l’indépendance du pays.
Si à Stockholm il avait, en répondant à l’étudiant qui
l’interpellait, exprimé cette analyse , nul doute que la situation eut
été plus claire et plus acceptable et que le procès qui lui a été fait par la gauche de l'époque et par les Algériens aurait eu moins de force.
Voilà encore la photo d'un extrait d'article qui évoque aussi ces idées de Camus.
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