Je lisais récemment un article sur la difficulté de nommer
clairement les évènements actuels qui ont lieu en Algérie et des universitaires
dissertaient sur les notions de « révolution » « mouvement ou
Hirak » « révolte ».
Cela m’a conduit à réfléchir également sur cette situation.
Je dirai d’abord que ce qui frappe l’observateur c’est la
force de ce mouvement et la vue des manifestations de chaque semaine avec cette
foule immense démontre que c’est vraiment tout un peuple qui se lève, partout
dans le pays, sans distinction de catégorie sociale, de zones géographiques,
d’opinion politique.
La seconde observation que chacun a pu faire c’est
l’extraordinaire sang froid de ces foules pourtant immenses, leur calme, leur
volonté absolue d’être pacifique et sans violence et cet aspect est à mettre en
évidence car, en général, une révolte ou une révolution est violente.
Un autre caractère et non des moindres est que ce peuple a
manifesté tout au long de ces journées un humour constant dans ses slogans et
dans la façon d’exprimer son action. Il a, aussi, et c’est déjà un des
bienfaits de ces journées, apprécié le fait de se retrouver et de jouir du
plaisir de rire, de bavarder, de prendre possession des rues. Cela paraît banal
mais quand on a connu une Algérie triste, morose, inquiète de son avenir, sans
réaction face aux abus du pouvoir et a son mépris, c’est une nouveauté et il
est clair que cela ne sera jamais plus comme avant quelque soit le sort de ce
mouvement.
Quand
on a dit cela je serai assez tenté, pour ma part, d’utiliser le mot de révolte
tel que nous l’a enseigné Albert Camus. C’est ainsi qu’il écrivait :
« Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non »
« Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non »
Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », «
jusque-là oui, au-delà non », « vous allez
trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas ». En
somme, ce non affirme l’existence d’une frontière. On retrouve la même idée de
limite dans ce sentiment du révolté que l’autre « exagère », qu’il étend son
droit au-delà d’une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face
et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte s’appuie, en même temps, sur le
refus catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse
d’un bon droit, plus exactement l’impression, chez le révolté, qu’il est « en
droit de… ». La révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi-même, en
quelque façon, et quelque part, raison. C’est en cela que l’esclave révolté dit
à la fois oui et non. Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu’il
soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec
entêtement, qu’il y a en lui quelque chose qui « vaut la peine de… », qui
demande qu’on y prenne garde.
(…) En même temps que la répulsion à l’égard de l’intrus, il y a
dans toute révolte une adhésion à part entière et instantanée de l’homme à une
certaine part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de
valeur, et si peu gratuit, qu’il le maintien au milieu des périls. (…) Le
révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du
maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne
l’est pas. Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de
révolte invoque tacitement une valeur. »
Camus, L’homme révolté (Gallimard), p 25-26
Et bien les Algériens sont bien ceux qui disent non et qui
soulignent aussi que cela a trop duré et qu’ils ne peuvent plus accepter à
partir de ce moment le comportement du pouvoir à leur égard.
C’est donc bien une révolte mais,
comme le souligne aussi Camus, dans la révolte il y a non seulement un refus
mais la volonté d’autre chose et la revendication d’un autre mode de
fonctionnement du pouvoir et de la société, en somme une autre valeur.
Les Algériens, le peuple, sait-il
vers quelles valeurs il veut aller, vers quel destin, vers quel type de
civilisation ? Rien n’est moins sûr et c’est naturel car le peuple, en
dehors de son patriotisme, de son amour pour un pays est très divers et dés
lors il y a une multitude d’intérêts, d’objectifs et de comportement.
Citons les différences régionales
qui demeurent importantes, les différences de niveau social et d’éducation, les
différences religieuses, car, même dans un pays musulman dans sa majorité les
différences sont évidentes entre les très pratiquants et ceux qui le sont moins, entre les soufis et les salafistes purs et durs et même entre diverses obédiences !
Tous ces gens ne veulent pas la même
chose, leurs objectifs sont différents et très contraires entre eux.
Quel est le système politique qui
peut unir un peuple malgré ses différences ? Il y a deux systèmes que l’expérience
ailleurs a mis en évidence :
-la règle démocratique de la majorité
-la laïcité
La règle majoritaire permet de
trancher entre les diverses conceptions et objectifs. Une fois les questions
tranchées l’ensemble de la population accepte.
Dans une dictature au contraire
le pouvoir jouera sur les différences pour les opposer et le pouvoir sera celui
(on l’a vu d’un clan).
Mais il faut ajouter que la vraie
démocratie ce n’est pas seulement la règle majoritaire c’est aussi et de
manière essentielle, le respect des minorités qui doivent être libres de s’exprimer,
de manifester et de militer pour un autre projet avec dans la ligne de mire l’alternance
sans laquelle la démocratie n’est qu’une forme déguisée de dictature et il ne suffit pas qu'un pouvoir soit élu pour qu'il soit démocratique!
Ceci étant dit et comme le diable
se niche dans les détails tous les mécanismes juridiques ne se valent pas et l’exemple
Tunisien est, à cet égard, très significatif.
Les Tunisiens comme les Algériens
se sont levés contre un régime de dictature et ses pratiques. Ils ont alors
voulu prendre toutes les dispositions juridiques pour qu’une dictature ne
puisse plus revenir et c’est dans ces conditions qu’ils ont choisi une
Constitution et un régime électoral de proportionnel. Le résultat a été désastreux
car plus de 210 partis (ridicules) sont apparus et aucune majorité stable n’a
pu voir le jour entrainant des alliances contre nature entre des partis aux
conceptions totalement opposées ! La Constitution et le régime électoral
ont organisé l’impuissance du pouvoir et a partir de là la régression du pays
dans tous les domaines, aucun projet sérieux ne pouvant voir le jour et être
mis en œuvre.
Les Algériens devront donc s’ils
s’orientent vers la démocratie étudier et tirer des leçons de l’expérience
Tunisienne.
La deuxième règle nécessaire est
la laïcité car c’est la seule qui permet d’organiser un vivre ensemble apaisé
et porteur d’ouverture et de progrès.
L’Algérie est indiscutablement un
pays musulman et de cela personne n’en doute et ne le met en cause. Mais il y a,
aussi, quelques religions minoritaires et même chez les musulmans il y (personne
ne peut le contester) une variété de pratique et d’idée importante puisque il n’y
a strictement rien de commun entre des soufis ouverts, tolérants et apaisés à
l’exemple de l’Emir Abdelkader ce fondateur de l’Etat et des salafistes intolérant
et dominateurs qui veulent imposer, quelques fois par la violence, une façon de croire et de se comporter venu
d’ailleurs.
Or qui peut faire qu’un vivre ensemble,
une tolérance, une acceptation de l’autre s’installe dans le pays pour son plus
grand bien sinon la règle de la laïcité ?
C’est à cela aussi que devront réfléchir
les Algériens et qu’ils devront trancher.
Je conclurai cette analyse en
disant qu’un pays pour progresser, pour aller de l’avant et pour vivre apaisé
se doit de trancher entre ces grandes options. Les hommes politiques ne veulent
quelques fois pas trancher pour ne pas perdre de voix, pour essayer de plaire a
tout le monde et ce faisant ils ne rendent pas service a leur pays car les non-dits
pourrissent la vie de la société.
Alors après la révolte magnifique et bienvenue il faut
maintenant que les Algériens prennent conscience des enjeux et les tranchent
tranquillement, démocratiquement en s’organisant et ne faisant apparaître des
leaders car les leaders sont absolument nécessaires pour parvenir à ces choix
qui ne se feront pas spontanément. Et c'est là que l'on entre dans les difficultés mais qui ne sont pas insurmontables. On peut aussi écouter l'équivalent de ce texte dans cette video
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