vendredi 16 juin 2017

Divers écrits de Mouloud Feraoun

Les éditions du seuil ont publié dans la collection Points un petit livre intitulé :"L'anniversaire". Le titre est trompeur et , à mon avis,mal choisi. Il aurait dû plutôt être "Divers textes de Mouloud Feraoun" car il contient, en effet, des textes divers qui n'ont pas grand chose a voir entre eux. Le titre a été tiré du premier texte qui est un projet de roman auquel travaillait l'auteur en 1961 et qu'il n'a pu mener à bien en raison de son assassinat par les barbares imbéciles de l'OAS en mars 1962 quatre jours avant la déclaration de cessez- le feu. Pour le reste on trouve deux textes consacré à Albert Camus et à la guerre. Le premier est une lettre  adressée à l'écrivain en 1958, au moment où il venait de publier ses "Chroniques Algériennes" et que je lis dans la vidéo ci_dessous.
Lecture d'une lettre de Mouloud Feraoun adressée a Albert Camus en 1958 lors de la parution des "Chroniques Algériennes"
Le second texte consacré a Camus est écrit alors que Camus est mort.

Il y a aussi un très beau texte qui est la continuation de son premier livre "Le fils du pauvre" et dans lequel il évoque sa vie avec notamment la période qui fut la plus heureuse pour lui: ses trois ans d'école à l'Ecole Normale de la Bouzarea, là où il fit la connaissance d'une autre "juste" l'écrivain Emmanuel Robles sur lequel il écrit des pages émouvantes et qui demeura son ami jusqu'à la fin.



mercredi 14 juin 2017

Le fils du pauvre de Mouloud Feraoun

Je viens de terminer la lecture du "Fils du pauvre" de Mouloud Feraoun. Ce texte est paru en 1954 aux Editions du Seuil et c'est le premier livre de l'écrivain, celui qui l'a fait connaître et apprécié.C'est une sorte d'autobiographie consacrée a sa jeunesse dans le petit village Kabyle de son enfance  où il mène une vie pauvre mais dans une famille aimante et dans une nature qui apporte beaucoup à la jeunesse même si elle est dure.Il y a dans ce texte une belle évocation de l'enfance. Il a la chance d'être entouré par des parents aimants et par deux tantes qui ouvriront son imaginaire par le récit qu'elles font des légendes de l'endroit.
Il y a aussi l'évocation des drames que connaît cette famille avec la mort d'une tante et la folie de l'autre, le récit du départ du père en France pour travailler et subvenir aux besoins de sa famille, ce père qui sera accidenté et reviendra très vite dans son village.
Et puis, et c'est la partie qui m'a le plus touché il y a le récit de son parcours scolaire, de sa réussite au concours des bourses, son départ pour le collège à Alger et comment ne pas rapprocher ce parcours de celui du jeune Albert Camus "fils de pauvre" lui aussi?
Comme Albert Camus a connu M. Louis Germain qui l' a aidé a poursuivre ses études (Il faut lire Le Premier homme) l'auteur connaîtra aussi un missionnaire protestant qui l’hébergera et l'aidera.Comment ne pas aussi penser à l'autre "fils du pauvre" l'écrivain Emmanuel Robles que Mouloud Feraoun rencontra à l'école normale et qui devint son ami.
Le récit se termine par une page très émouvante. Il vient d'être reçu à l'école normale d'instituteur et il va quitter son petit village de Kabylie pour Alger. Il est a avec son père sur la route qui va le conduire a Alger:
"Tu vas à Alger, dit celui-ci. Vous serrez très nombreux là bas.On n'en choisira que quelques uns..  Le choix, c'est toujours le hasard qui le fait. Tu vas à Alger comme tes camarades.Nous,là haut, nous attendrons. Si tu échoues, tu reviendras à la maison. Dis-toi bien que nous t'aimons. Et puis ton instruction, on ne te l’enlèvera pas, hein? Elle est à toi. Maintenant je remonte au village. Ta mère saura que je t'ai parlé. Je dirai que tu n'as pas peur.
-Oui, tu diras là haut que je ne n'ai pas peur."
Mouloud Feraoun sera reçu, deviendra instituteur puis directeur puis inspecteur tout en continuant à écrire.
De ce premier livre il dira:
"J'ai écrit le Fils du pauvre pendant les années sombres de la guerre, à la lumière d'une lampe à pétrole. J'y ai mis le meilleur de mon être."

samedi 10 juin 2017

Mouloud Feraoun: "Jours de Kabylie"

Après son journal (voir article précédent) je lis :"Jours de Kabylie" dans la collection Points avec des gravures de Charles Brouty. Cela change de l'horrible climat du journal. Voilà des chroniques sur la vie de son petit village Tizi Hibel en haute Kabylie et cela me rappelle d'une certaine manière les "Lettres de mon moulin " de Daudet. Cette comparaison m'est venu directement a l'esprit et je la retrouve dans ce texte très documenté d'une universitaire sur la vie et l'oeuvre de Mouloud Feraoun C'est simple et touchant et l'on comprend cette vie pauvre, loin de tout mais avec ses règles, ses usages et l'attachement de ses habitants. Certains qui sont partis au loin pour gagner leur vie y reviennent avec plaisir et voilà comment Feraoun dont on aimerait citer toutes les phrases fait parler le vieux village:
"Mes ruelles vous les trouvez étroites et sales? Je n'ai pas besoin de m'en cacher. Je vous ai vus tout petits et bien contents d'y barboter comme des canetons malpropres. Passez ! Là c'est votre djemaâ. Bien entendu, elle vous semble grotesque et vaine. Ce n'est pas la place de l'Etoile! Savez vous comment je vous imagine place de l'Etoile? A peu prés comme ce petit chat craintif quand il traverse votre djemaâ remplie de garnements. Votre gourbi est trop petit? Vous oubliez qu'il est a vous, plein de toutes les présences passées, plein de votre nom, de vos anciens espoirs, témoin de vos rêves naïfs, de votre bêtise, de vos souffrances. Soyez modestes, voyons!Vous serrez très bien ici, vous verrez, c'est moi qui vous le dit...."
Dans ces chapitres courts l'auteur nous décrit la vie de ce village: le marabout, le marché, les vielles chargées de la corvée du bois, la fontaine et les jeunes filles du village, la chronique d'un monde dont je me demande s'il existe encore!
Mouloud Feraoun ,instituteur puis Directeur puis Inspecteur termine ce beau livre par un chapitre sur les instituteurs de son temps dans ces villages reculés et c'est un des passages les plus émouvant qui nous rappelle ces "hussards de la République" que tant de générations ont eu la chance d'avoir pour enseignants.
"Nous avons eu nos pionniers, nous sommes héritiers d'un passé que les montagnards n'oublient pas et qu'ils nous rappellent avec beaucoup de finesse lorsque ils constatent que  nous nous en écartons.
Certaine région de Kabylie eut des écoles primaires dés que les lois scolaires de la Troisième République furent appliquées. Les premiers maîtres furent des apôtres, tout le monde le sait. Sauf, peut être, les populations qui les reçurent. A l'époque, la vie du bled était difficile.Il fallait vaincre l'hostilité des gens et surmonter d'innombrables difficultés matérielles dont on commence, maintenant, à perdre le souvenir.".......... "Ainsi, chez nous, ceux qui ont connu ces vieux maîtres ne disent pas qu'ils furent des apôtres et des saints.Ils disent que ce furent d'honnêtes gens, toujours prêts a rendre service, des savants qui avaient bien vite gagné l'admiration, l'estime et le respect. Très souvent ils ajoutent : "Que Dieu leur réserve une place au paradis." Ce qui est touchant, malgré tout, car cette place au paradis, le Kabyle la souhaite rarement à qui ne la mérite pas. Surtout lorsqu'il s'agit d'un roumi. Or, fréquemment c'est ce qui arrive. Et le souhait est venu du fond du coeur."
Que dire d'autre de ce livre? Un sentiment de quelque chose qui aurait pu advenir et que la bêtise  et la cruauté des hommes n'a pas rendu possible.

vendredi 9 juin 2017

Le Journal de Mouloud Feraoun

Je lis ,en ce moment, le journal de Mouloud Feraoun paru aux Editions du Deuil en 1962 et qui couvre la période de 1955 à 1962, période de guerre et de tristesse et qui se termine d'ailleurs par l'affreux assassinat de l'auteur par l'OAS criminelle .Assia Djebar dans son beau livre "Les blancs de l'Algérie" est longuement revenu sur cet assassinat.
Le journal est précédé par une préface émouvante d'Emmanuel Robles, écrivain connu d' Algérie et ami de Mouloud Feraoun et par une lettre du fils de Feraoun à Robles.
Je connaissais de nom de Feraoun depuis longtemps mais je dois confesser que je n'avais rien lu de lui et je le regrette tant les réflexions et le style de son journal donne a voir un intellectuel brillant et surtout un homme épris de justice. Mouloud Feraoun très ami avec Emmanuel Robles était également un ami d'Albert Camus
Mouloud Feraoun né dans un tout petit village pauvre  de Kabylie est devenu instituteur puis formateur et le début du journal pose bien le problème de l'enseignement , des écoles dans cette Kabylie en période de guerre avec les difficultés qui  naissent entre population kabyle et européenne. Il rend très bien ce climat de suspicion généralisée qui naît de la guerre et qui rend les échanges, autrefois spontanées et directs, de plus en plus insignifiant comme si désormais aucun dialogue vrai n'était plus possible et qui sépare deux communautés qui arrivaient tout de même a se parler.
Il montre aussi très bien combien toute la population kabyle a très rapidement adhéré à la guerre de libération et a exécuté les ordres du FLN: plus de tabac, plus d'alcool, versement de contribution, démission des organes électifs.....et il explique très bien pourquoi cette adhésion: le comportement injuste de la France depuis toujours. A le lire on ressent sous sa plume le climat qui règne alors dans tous ces petits villages face aux actes des membres du FLN et fasse aux exactions des soldats français. Éclairant!
Des pages très dures aussi sur la torture pratiquée dans la police, la gendarmerie et les militaires, sur les assassinats, la violence qui appelle la violence. C'est une question connue mais relire sous sa plume cette triste réalité est une épreuve et il décrit son mal être , une forme de dépression qui lui tombe dessus face à toutes ces formes de violence contre laquelle il se sent totalement impuissant. Il est clairement pour la résistance algérienne mais il en voit les dérives et il a de la sympathie pour certains amis français d’Algérie comme Emmanuel Robles, Camus et d'autres.Il est déchiré et à le lire on se souvient des mêmes tourments vécus par Albert Camus.
Il décrit aussi ,très bien, les derniers soubresauts: De Gaulle, l'OAS, les barricades.
Il se trompe parfois comme lorsqu'il pense que la belle attitude des femmes leur vaudra  l’accès à l'égalité!On sait ce qu'il est advenu.
Il est lucide aussi et se demande ce que le pouvoir va devenir et si il ne vas pas être accaparé par les petits ambitieux, les corrompus.On sait aussi ce qui est advenu.
Comme le dit la très belle et émouvante préface d'Emmanuel Robles: "Le voici tel qu'il était, patient, généreux, tout imprégné des vertus de ce ces montagnards de Kabylie épris d'honneur et de justice."
On sort de cette lecture déprimé par l'ensemble de ces actes affreux, de ce climat épouvantable dont la France est indiscutablement responsable.C'est l'histoire dans sa face la plus laide. Je conseille vivement la lecture de cet article très documenté sur la vie te l'oeuvre de Mouloud Feraoun
Si je reviens en Algérie il faudra que j'aille voir le petit cimetière de Tizi Hibel son village natal et sa dernière demeure dont il écrivait dans "Jours de Kabylie" :Une petite tombe qui se confondra avec toutes les autres parce qu’elle ne portera aucune inscription et que, dés le premier printemps, elle se couvrira aussi de graminées toutes frêles et de pâquerettes toutes blanches" (p.17) Voici ce que disait Max Pol Fouchet du journal de Mouloud Feraoun
Je vais maintenant commencer la lecture de "Jours de Kabylie" et vous pouvez voir ici un hommage à cet écrivain ainsi que  l'hommage de la France en ce soixantième anniversaire de son assassinat par l'OAS.