samedi 29 octobre 2016

Oscar Wilde: un MOOC de la Sorbonne

Je me suis donc inscrit pour suivre un MOOC de la Sorbonne consacré à Oscar Wilde. Le cours vient donc de commencer et le professeur Pascal Aquien, grand spécialiste de Wilde qui a préparé et préfacé l'édition des oeuvres de Wilde dans la Pléiade vient de faire  une dizaines de vidéos consacrées à la vie de l'écrivain et a terminé  cette sorte d’introduction par un entretien avec le petit-fils de Wilde Merlin Holland.
Je dirai d'abord que je trouve formidable cette façon d'enseigner et pour nous de pouvoir suivre un enseignement à distance,tranquillement installé chez nous.
Pourquoi ai_je choisi ce cours? En réalité par défaut. Je souhaitai suivre un enseignement de littérature mais j'aurai préféré étudier un des grands écrivains français: Gide, Camus,Yourcenar,Mauriac par exemple. Je n'ai trouvé que ce MOOC en matière littéraire mais je ne le regrette pas. Wilde fait d'ailleurs l'objet d'une belle exposition à Paris en ce moment au Petit Palais et d'une série d'émissions sur France culture
Cette vie de Wilde que je connaissais déjà un peu est captivante,notamment par la chute après sa condamnation pour homosexualité et ses années de prison, sa misère et sa fin dans un petit hôtel du quartier saint Germain à Paris.
L'acharnement de la société anglaise de cette époque sur cet artiste est proprement scandaleuse et donne une vision absolument détestable de cette société. Cet acharnement a été tel que la famille,la femme et les enfants de Wilde ont été pendant des années et des années contraints de changer de nom et de ne plus parler de leur aïeul.
A la suite de l'entretien du Professeur avec Merlin Holland je me suis fait la réflexion que cette famille, qui, aujourd'hui a repris la fierté de son nom n'avait pas été très courageuse en se pliant ainsi aux diktats d'une société pudibonde .
En étudiant sérieux je viens de relire ce Weck end l'étude de Robert Merle consacrée à Wilde et qui , est en réalité la thèse qu'il soutint et qu'il a remaniée pour la rendre moins "universitaire".
  Dans une pièce de théâtre dont le titre C.3.3 numéro d'écrou de Wilde,  Robert Badinter, a évoqué la question.Je suis aussi en train de relire le livre de Wilde que je considère comme le plus émouvant De profondis, ce long cri de douleur adressé à Bosie celui par qui le scandale arriva. Cette longue lettre montre le drame que fut la prison, la faiblesse qu'il eut pour ce Bosie qui n'en valait vraiment pas la peine et je trouve, au passage dans sa longue plainte le récit très émouvant de ce petit événement:

"Un lieu où règne la douleur est terre sainte.On comprendra un jour ce que cela veut dire.Jusque là ,on ne saura rien de la vie. Robbie et des natures comme la sienne peuvent le concevoir. Quand, de ma prison, on m'amena entre deux policiers,devant le tribunal des faillites,Robbie attendait dans le sinistre et long couloir afin de pouvoir, devant la foule, qu'un geste si simple et si charmant réduisit au silence, soulever gravement son chapeau, tandis que menottes aux mains et tête basse, je passais devant lui. Des hommes sont allés au ciel pour de moindres actes que celui-ci. C'est dans cet esprit et avec pareil amour que s'agenouillaient les saints pour laver les pieds des pauvres ou s'inclinaient pour baiser la joue d'un lépreux. Je ne lui ai jamais soufflé mot de ce qu'il avait fait. Jusqu'à présent, j'ignore s'il sait que j'ai eu conscience de son geste. Ce n'est pas là une chose sur laquelle  on puisse exprimer des remerciements conventionnels avec des mots conventionnels. je la conserve dans le sanctuaire de mon coeur. Je la garde là comme une dette secrète que, je suis heureux de le penser, je ne pourrai jamais payer. Elle est embaumée et la myrrhe et l'encens de maintes larmes en perpétuent le parfum. Alors que la sagesse ne m'était d'aucun secours, que la philosophie demeurait stérile,que les sentences et les phrases de ceux qui cherchaient à me consoler me laissaient dans la bouche un goût de cendre, le souvenir de ce petit geste d'amour, silencieux et charmant, a descellé pour moi le puit de la pitiè, a fait fleurir le désert comme une rose, m'a arraché à l'amertume de la solitude et de l'exil pour me mettre en harmonie avec le grand coeur blessé du monde."
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Et encore : "Il y a six semaines environ,le docteur m'autorisa à recevoir du pain blanc au lieu du pain grossier,noir ou bis, du régime ordinaire de la prison. C'est une délicieuse friandise. Il paraîtra étrange que du pain sec puisse être pour quiconque une friandise. Mais il l'est si bien pour moi qu'à la fin de chaque repas, je mange soigneusement les moindres miettes qui peuvent rester sur mon assiette de métal ou sont tombées sur la serviette de toile rude qui fait office de nappe pour protéger la table. Et ce n’est pas la faim qui me fait agir ainsi-mais je tiens à ce que rien de ce qui m'est donné ne soit perdu."

Et encore:

"Si tu avais la moindre imagination,tu saurais qu'il n'est pas un seul de ceux qui m'ont témoigné de la bonté pendant mon incarcération devant qui tu ne devrais être fier de t'agenouiller pour nettoyer la boucle de ses souliers: du gardien qui me souhaite le bonjour et une bonne nuit ( ce qui n'entre pas dans les devoirs de sa charge) aux simples agents de police qui, à leur simple et rude manière, tentèrent de me réconforter pendant les voyages aller et retour au tribunal des faillites,alors que j'étais dans un état de grande détresse mentale, et jusqu'au pauvre voleur qui, me reconnaissant tandis que nous arpentions la cour de la geôle de Wandsworth, me murmura de cette voix rauque qui vient en prison à ceux qui subissent un obligatoire et long silence: "Je vous plains. C'est plus dur pour des gens comme vous que pour nous autres."

Je vais lire maintenant une oeuvre également connue de Wilde qui est un réquisitoire contre la prison et contre la peine de mort :La ballade de la geôle de Reading. Lors d'une réédition de ce poème Albert Camus donna une préface.
André Gide,lui aussi, qui avait connu Wilde avant et après sa chute, a écrit de belles pages sur De Profondis et sur la fin de Wilde à Paris.  Voici un extrait de la belle préface de Camus.
"La grande âme de Wilde,élevée au dessus des vanités par la souffrance, aspirait pourtant a ce fier bonheur qu'il lui restait à trouver au delà du malheur."Ensuite, disait-il, Il me faudra apprendre a être heureux.". Il ne l'a pas été.L'effort vers la vérité, la simple résistance à tout ce qui dans la prison tire l'homme vers le bas, suffisent à exténuer l'âme. Wilde ne produisit plus rien après la Ballade, et il connut sans doute l'indicible malheur de l'artiste qui sait les chemins du génie, mais qui n'a plus la force de s'y engager. La misère, l'hostilité ou l'indifférence firent le reste. Le monde pour qui il avait vécu a dû sentir qu'il venait d'être à jamais jugé par un prisonnier et jugé pour ce qu'il était.C'était pourquoi il tourna le dos à celui qui avait été le héros de ses fêtes vides. Et, se jugeant alors lui-même une seconde fois, ce monde condamna encore le poète, non pour le vice d'avoir été superficiel, mais pour l'impertinence d'avoir été malheureux. Même Gide avoue qu'il fût gêné de rencontrer Wilde à Paris alors que ce dernier manquait de ressources et n'écrivait plus. Sans doute ne sut-il pas le cacher assez puisque Wilde fut contraint de lui dire cette phrase , qui donne envie de l'avoir encore parmi nous: "Il ne faut pas en vouloir à quelqu'un qui a été frappé." A ce moment, Wilde,misérable,solitaire, désormais stérile, rêvant parfois de revenir à Londres pour être à nouveau "le roi de la vie", a dû se dire qu'il avait tout perdu même la vérité qui lui était apparue dans une cour de prison.Il se trompait pourtant. Il nous laissait, royal héritage, De Profundis et la Ballade de la geôle de Reading. Il est mort tout prés de nous, dans une une de ces rues de la rive gauche où l'art et le travail fraternisent dans la même gêne. Mais que son pauvre convoi ait été suivi par le petit peuple de la rue des Beaux Arts, au lieu de ses brillants amis d'antan, témoignait justement de sa noblesse nouvelle et annonçait aux initiés qu'un grand artiste, né depuis peu, venait de mourir."
Albert Camus L'artiste en prison. La Pléiade. Essais p; 1128 et s.
Je reprends ce texte après avoir relu les pages qu'André Gide consacre a sa relation avec Wilde. (La Pléiade. Essais critiques. p;836 a 854). Ces pages sont magnifiques et les lire fait comprendre très bien Wilde. André Gide y raconte , entre autre, une rencontre à Paris à la fin de la vie de Wilde, après le procès et la prison.Il nous dit qu'à la terrasse d'un café il s'est assis dos au public (un peu par honte d'être vu avec Wilde et il n'en est pas fier!) et Wilde s'en étant rendu compte lui dit seulement:
"Quand jadis, je rencontrais Verlaine, je ne rougissais pas de lui, reprit-il, avec un essai de fierté. J'étais riche, joyeux , couvert de gloire, mais je sentais que d'être vu prés de lui m'honorait;même quand Verlaine était ivre...."
Je complète ce texte à l'occasion de la sortie du film The Happy Prince  (et consacré à la fin de vie d'Osacr Wilde et j'y ajoute une video que j'ai faite à ce sujet qui reprend des élements de ce texte

lundi 17 octobre 2016

Alice Kaplan: En quête de l'Etranger

Le livre d’Alice Kaplan « En quête de l’Etranger » est le récit de la création et de la vie du roman d’Albert Camus « L’étranger ». C’est écrit dans un style simple et clair par cette universitaire américaine qui a fait une recherche assez époustouflante et qui la restitue dans une langue remarquable.
On suit de très près le lent travaille de maturation qui conduit Camus à la rédaction de ce roman qui a tant fait parler de lui et qui reste encore plein de lecture possible, signe des grands chefs d’œuvre.
On apprend les influences, notamment de certains écrivains américains et les conseils de ses proches comme Jean Grenier, Pascal Pia et l’on apprend tout ce que sa vie   lui a permis de noter et de mettre dans ce roman : un voyage à Marengo à l’hospice pour l’enterrement de la mère de sa belle-sœur, la vie des petits gens à Alger, l’expérience de son père lors d’une exécution capitale, sa propre expérience des tribunaux…. Et on en apprend aussi sur le fameux crime sur la plage et sur sa réécriture sur les conseils d’André Malraux.
Alice Kaplan nous apprend tout sur les tribulations du manuscrit pendant cette période de guerre jusqu’à son acceptation par les Éditions Gallimard grâce notamment à André Malraux mais aussi à Pascal Pia et d’autres. Elle nous montre comment le roman a été accueilli, comment beaucoup de critiques ont considéré qu’il s’agissait d’une œuvre au ton nouveau et qui allait marquer son temps. On peut lire toutes les critiques parues à l’époque jusqu’ à celle remarquable de Jean Paul Sartre qui est l’un de ceux qui ont le mieux analysé ce roman.
On assiste ensuite en détail à la diffusion de l’œuvre et à sa traduction, notamment en Amérique et en Angleterre avec les erreurs de traduction et les deux titres choisis en Angleterre et aux EU : « The Stranger » et « the Outsider »
Intéressants développements aussi sur la transposition, notamment par Visconti, de l’étranger au cinéma et enfin d’excellents développements sur le roman de Kamel Daoud Meursault contre enquête.
Enfin le livre se termine par le récit de ce qui s’est réellement passé sur la plage d’Oran .On apprend ,enfin, le nom et l’histoire réelle de l’arabe.
Le seul manque de ce livre est l’analyse de la réception de Camus et ,notamment de étranger , en Algérie.Il y a sur cette question,pourtant importante que très peu de choses.

mardi 4 octobre 2016

Jean Noël Pancrazi: Les quartiers d'hiver.

Je relis, ici, à Hammamet "Les quartiers d'hiver" de Jean Noël Pancrazi, Prix Médicis en 1990 chez Gallimard et qui est consacré à l'évocation des années Sida, des nombreux morts de cette époque, du milieu de la nuit et de la tristesse de ces vies à la recherche d'un bonheur introuvable.
Le récit est conduit par un écrivain homosexuel, plus tout jeune qui fréquence une boîte gay :"Le vagabond" où il croise des jeunes , des moins jeunes et des vieux tous à la recherche d'un peu de tendresse et d'amour.C'est le récit des morts qui surviennent autour de lui et , aussi, de la fin  du Vagabond. C'est une cérémonie des adieux émouvante, c'est un monde qui finit.
Même si certains des thèmes de cet écrivain n' intéressent pas certains je ne peux que conseiller la lecture de ce roman ne serait-ce que par l'émotion qui s'en dégage et à laquelle il est difficile de demeurer insensible.

Je connais depuis longtemps l'oeuvre de cet écrivain, né en 1949 à Sétif et dont j'admire avant tout le style.Il y a dans tous les beaux livres qu'il a publié (Madame Arnould, Renée Camps, Long séjour, les dollars de sables,la Montagne) une émotion permanente qui parcourt avec légèreté toutes ses phrases,une sensibilité et un art dans la description des sentiments les plus enfouis, des émotions, des impressions fugaces.
Son oeuvre évoque aussi sa famille et ses années d'enfance à Saint Arnaud prés de Sétif dans l'Algérie en guerre.

Comme je l'ai dit ce roman est une cérémonie des adieux, triste,pathétique lorsque ferme ce cabaret "Le vagabond" où tant de vies sont passées et voilà comment Jean Noël Pancrazi termine  ce roman:
"Appelé par la clarté complice de la lampe, je les entendais à peine traverser, dans un va-et-vient affairé et discret,la grande pièce du relais,comme si,en sortant les falbalas des cartons d'hiver,ils préparaient en secret une fête pour un invité,un vagabond qui monterait le chemin de glaise sèche,guidé par le seul halo de la voie Lactée. Entre deux accrochages de guirlandes et d'ampoules autour des glaces,ils viendront me souffler leur désir de ne pas être oubliés, de compter encore un peu. Je le leur promettrai et ce lien fraternel à travers les saisons et les années me tiendra lieu d'amour."