lundi 22 novembre 2021

Mohamed Mbougar Sarr: La plus secrète mémoire des hommes

 Le prix Goncourt 2021 a, comme on le sait été attribué à un jeune (31 ans) écrivain Sénégalais dont le roman :La plus secrète mémoire des hommes      avait déjà connu le succès même avant d'être primé. Il a déjà été reçu sur divers plateau de radio et de télévision et il y a exprimé , chaque fois , un point de vue original sur la littérature. Ce roman que l'on ne peut résumer tant il est foisonnant et dont on ne peut pas dire  "de quoi il parle" le romancier disant dans son œuvre que c'est une question "débile" et qu'un roman ne parle de rien mais dit tout!

Je dirai cependant que c'est d'abord une extraordinaire analyse de la littérature et que l'on y voit le lecteur, l'écrivain , les critiques mis en avant avec un verbe haut en couleur mais qui touche particulièrement juste.

Ainsi on appréciera la critique qu'il fait de la littérature en langue française des africains qui, après être porté au pinacle fait l'objet de critiques qui sont toujours les mêmes: trop africains ou pas assez, de toute manière jamais à sa réelle place!

Il y a un fil rouge pour ce roman. C'est la recherche par un jeune écrivain de l'unique roman écrit dans les années trente par un noir,  T C Elimane qui connut un succès certain puis fut oublié.  Son livre devenu introuvable n'était connu que de quelques initiés. A partir de cette recherche le roman est plein de digressions aux quelles on se laisse prendre et, il est vrai, que malgré son abondance on reste intéressé constamment et l'on admire le style et certains aperçus originaux sur la vie, le temps, le monde. 

Il nous montre, dans des pages inspirées, dans l'histoire de cet Elimane qui quitte le Sénégal pour la France, qui écrit un livre et disparait comment certains africains ont été attirés par la culture du colonisateur et ont voulu se l'approprier, abandonnant un peu la leur.

Il y a aussi une sorte de suspens dans ce roman car l'on attend page après page ce qu'est devenu ce T C Elimane, l'écrivain d'un seul livre et totalement disparu aussitôt après. Va t-on le retrouver et reconstituer son histoire?

Même si l'on se prend à cette histoire , ce roman est quelque fois un peu touffu et il arrive que l'on s'y perde un peu. Par contre il y a , souvent des idées intéressantes sur la force de l'écriture, de la littérature et sur le sort particulier des écrivains des pays colonisés. 

Je citerai notamment cette phrase: " Cet avertissement nous disait, à nous écrivains africains: inventez votre propre tradition, fondez votre histoire littéraire, découvrez vos propres formes, éprouvez-les dans vos espaces, fécondez votre imaginaire profond, ayez une terre à vous, car il n ' y a  que là que vous existerez pour vous, mais aussi pour les autres..................Tu sais: la colonisation sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos. Mais elle sème aussi en eux-et c'est la réussite la plus diabolique-le désir de devenir ce qui les détruit."

On lira  ces quelques critiques et il y en a beaucoup d'autres.

Par exemple et 

encore

dimanche 7 novembre 2021

Albert Camus et l'indépendance de l'Algérie: Nouvel éclairage.

 

Les rapports d’ Albert Camus avec l’  Algérie  son pays natal ont fait l’ objet de très nombreuses études et, de fait, je pense qu’ il n’ est pas possible de connaître Camus, de comprendre sa pensée sans connaître ce lien primordial, ce lien premier,  ce lien constituant.

Lorsque l’ Algérie est devenu indépendante ses nouveaux dirigeants  avec à leur tête  Taieb Ibrahimi ont en quelque sorte excommunié  Albert Camus. Son crime : n’ avoir pas été pour l’ indépendance du pays tout en ayant été, chacun est bien forcé de l’ admettre en lisant ces articles et chroniques et ce  depuis :Misère en Kabylie dans les années 1930, c est à dire très  tôt, anticolonialiste.

Il faut lire sur ce point un texte émouvant de Mouloud Feraoun :

«  Vous êtes bien jeune, monsieur, quand le sort des populations musulmanes vous préoccupez déjà. À cette époque-là, moi qui suis de votre âge, je m'exerçais à faire correctement ma classe et je gagnais sans doute plus que vous. Vous étiez bien jeune et votre voix bien faible, il m'en souvient. Lorsque je lisais vos articles dans Alger Républicain, ce journal des instituteurs, je me disais : « Voilà un brave type. » Et j'admirais votre ténacité à vouloir comprendre, votre curiosité faite de sympathie, peut-être d'amour. Je vous sentais tout près de moi, si fraternel et totalement dépourvu de préjugés ! "

On a donc expliqué ce refus d’envisager l’ indépendance de l’Algérie par son attachement viscéral à ce pays, à sa conviction que beaucoup d’européens quelques fois très pauvres comme sa famille, n’avaient exploité personne et avaient eux-mêmes été plutôt victimes de la propagande et des agissements des politiques français et,  enfin, de l’ impossibilité, pour lui, de se voir exilé de ce pays. Il voulait cependant qu’  " réparation éclatante soit accordé aux Algériens » et dans le Premier homme il y a ce fameux texte sur la nécessité de « rendre la terre ».

Il y a du vrai dans ces analyses mais je pense, aujourd'hui, après beaucoup de réflexion, qu’ il y a une autre raison qui se surajoute à celle de l’amour du pays et que l’ on évoque pas souvent.

Ce refus de l’indépendance ( au demeurant totalement irréaliste) est fondé, me semble-t-il,  sur les bases essentielles de sa philosophie autrement dit aux sentiments s’ajoute la raison dans ce refus de voir survenir l’indépendance du pays.

C’ est un livre récent de Roger Vetillard qui m’ a amené à cette analyse que je n’ ai vu exprimer nulle part de manière claire et nette. (Roger Vétillard. La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? Ed. Atlantis. 2020.)

Ce livre de M. Vetillard montre, en résumé,  en se fondant sur des écrits et sur des déclarations des dirigeants de la guerre d’ indépendance ,que l’ objectif poursuivi était de créer  un État islamiste dans lequel les non-musulmans ne seraient pas les bienvenus.

Ces déclarations et cet objectif n’ a pas été clairement perçu  car les dirigeants pour s’ attirer l’ aide internationale mettaient aussi en avant le nationalisme et même le communisme très porteur à cette époque. 

Or il résulte notamment d’ une lettre de Camus à Jean Grenier en février 1956 qu’ il a eu clairement conscience  de cet objectif qui entraînait  dans sa foulée l’ exclusion des européens et des juifs algériens, c’est-à-dire des non-musulmans. Il écrit ,en effet, à Jean Grenier : "Les musulmans ont de folles exigences: une nation algérienne indépendante où les Français seront considérés comme des étrangers à moins qu'ils ne se convertissent à l'Islam."  

Or Albert Camus en matière  politique  a lutté, comme personne ,contre le totalitarisme sous toutes ses formes et sur le communisme dans l’ homme révolté. 

Dès lors il est assez clair qu’ il ne pouvait soutenir une guerre qui, selon lui, mènerait  ce pays soit au totalitarisme communiste soit au totalitarisme islamiste.

Je dirai qu’ il s’ est trompé , non pas sur cette analyse, l’ avenir  a amplement démontré qu’effectivement l’Algérie allait basculer rapidement soit, à un moment, vers le collectivisme (utopie et mode de l’époque) soit aussi vers l’islamisme et allait , en tous cas, rejeter le monde pluriel et libre mais il s’est trompé, par contre,  sur la force de la volonté  d'indépendance du peuple algérien qui a fait que le peuple pouvait presque tout accepter pour atteindre cette indépendance et qu’aveuglé par son envie légitime d’indépendance, il ne voyait pas les évolutions prévisibles ou ne les pensait pas dangereuse pour l’avenir. 

Il faut ajouter qu'Albert Camus a beaucoup écrit pour condamner le terrorisme, des écrits théoriques et sa pièce Les justes et que ,pour cette raison encore, il ne pouvoir soutenir ceux qui utilisaient le terrorisme dont il disait qu'il "gâchait" toutes les causes.

Si cette analyse de la position d’Albert Camus est la bonne ,il est clair qu’il ne l’a pas suffisamment exprimé et, de là, est venu cette idée qu’il était hostile à l’indépendance du pays.

Si à Stockholm il avait, en répondant à l’étudiant qui l’interpellait, exprimé cette analyse , nul doute que la situation eut été plus claire et plus acceptable et que le procès qui lui a été fait par la gauche de l'époque et par les Algériens aurait eu moins de force.

Voilà encore la photo d'un extrait d'article qui évoque aussi ces idées de Camus.

                                                      


 


lundi 1 novembre 2021

David Diop: La porte du voyage sans retour

 








                                                                           


 

Je connaissais déjà David Diop ayant lu son roman "Frères d'âmes "et ayant apprécié la force de son style dans cette évocation des désastre de la guerre. Ce nouveau roman: "La porte du voyage sans retour" est dans une autre veine, avec une écriture qui m'a semblé plus douce, il est vrai adaptée a cette histoire romantique.

Ce roman est inspiré par un personnage connu de l'histoire Michel d'Adanson un botaniste du XVII ° siècle. et il nous mène au Sénégal avec ce botaniste parti grâce a un poste au service de la Compagnie des Indes.

Le roman nous donne a voir ,dans sa partie historique, le rôle de la Compagnie des Indes et nous décrit très bien la traite des noirs qui sont pris avec la complicité des divers rois  et qui sont expédiés depuis l'île de Gorée ,dite "La porte du voyage sans retour" qui donne son titre a ce roman. Mais il y a, aussi, une étonnante histoire d'amour entre ce Michel Adanson et une jeune femme noire, victime d'une tentative de viol par son oncle.

Mais l'intérêt de cette histoire est de mettre en lumière la différence fondamentale de conception du monde, les croyances, l'attitude envers la nature entre les noirs du pays et les européens. Il y a de belles pages sur la façon dont les noires de cette époque envisageaient la nature et les bêtes.

Le roman se présente comme étant un  récit par Michel Adanson de son séjour au Sénégal, de son amour , destiné à sa fille après son décès et on se laisse prendre tout à fait à ces révélations.

On pourra écouter David Diop en parler.