samedi 28 février 2015

Le cousin de Bruegel

J’ai assisté le 27 février au Parvis à la présentation du roman que vient de publier Eric Le Bot sous le titre Le cousin de Bruegel aux Editions In8
Il m’était difficile de manquer cette présentation puisque Eric Le Bot est un de mes confrères et qu’il a même fait un court passage à mon cabinet. 
Je savais de lui qu’il aimait le théâtre et j’ai encore le souvenir de l’Antigone qu’il avait monté il y a quelques années. Je ne lui connaissais pas, par contre, son goût de l’écriture.

Marc Belit a fait une présentation passionnante. Il a montré son enthousiasme pour ce premier roman, il en a fait une lecture qui met en avant l’évocation de thèmes quasiment métaphysiques : la mort, la création artistique, le pacte faustien entre l’artiste et le diable. Ce faisant, il a donné à l’auditoire l’envie de se plonger dans le livre ce que j’ai fait aussitôt de retour chez moi.
Autant dire tout de suite que je ne connaissais Bruegel que de nom et que son œuvre m’était étrangère. Tant mieux, dans le fond, puisque je suis entré vierge, si je puis dire, dans ce roman.

Une seule chose m’est venue à l’esprit avant de le lire, le souvenir de ce que un de mes écrivains préférés, Marguerite Yourcenar aimait beaucoup la peinture flamande et notamment l’œuvre de Bosch et de Bruegel. 
Une exposition en 2013 a mis en évidence les rapports de l’œuvre de cet écrivain avec la peinture flamande et il en existe un magnifique catalogue

Mais venons-en au roman. Et d’abord le style car c’est là qu’est l’écrivain. Ce livre se lit bien et la réussite est d’abord dans le fait que l’auteur sait nous rendre la vie de cette époque, une vie qui ne nous paraîtrait aujourd’hui pas très propre, pas très saine avec ses maladies, une sorte d’humidité ambiante. On a guère de mal, grâce à l'écriture, à  imaginer cette Flandre et son climat, souvent difficile (il y a de très beaux passages sur ces temps de pluie et de boue); et l’atelier de l’artiste finit, à la lecture, par nous devenir familier. Ne serait-ce que pour cela, le roman serait réussi.

On se laisse prendre au récit de « l’espion » et on lit ses rapports à son maître avec intérêt en attendant la suite, il y a presque du suspens et c’est l’ensemble des informations qu’il donne qui restitue, par petites touches, à la manière d’un peintre, et l’époque et l’atmosphère de l’atelier.

Sur le fond le livre pose plus de questions qu’il n’en résout ou, plutôt, conduit le lecteur à se poser mille questions sur l’art, la création, cette sorte d’esclavage dans lequel se trouve tout artiste taraudé par une volonté de dire et de trouver. 
Il y a dans ce roman l’apparition de personnages énigmatiques dont on ne sait pas qui ils sont : le diable, la mort… Et la fin ajoute encore au questionnement. Je n’en dirai rien pour laisser au lecteur la découverte seulement ceci : tout artiste n’est-il pas un fou qui veut se confronter avec le sens de la vie, l’horreur du temps qui passe et la mort ?
Cette recherche par l'art du sens de la vie et ce constat accablant qu'il n'y a guère de sens (p.122), que tout finit et disparaît et que le monde continue de "tourner sans nous" (p.124).
Une évocation aussi, qui renvoie à aujourd'hui, de cette religion d'inquisition et de censure qui pousse l'artiste à "l'art du stratagème et aux paysages a énigmes." (p.32)
Un foisonnement de questions  et n'est-ce pas là la marque d'un bon livre?
Et puisque j’évoquais, en commençant,  Marguerite Yourcenar je dois dire que l’un de ses grands héros, Zénon est poursuivi par les même obsessions que le Bruegel de ce roman.

Roman réussi donc et dont je conseille la lecture  ainsi que le découverte ou la redécouverte de Peter Bruegel.

mercredi 4 février 2015

Lucien Jerphagnon

Fin d’hiver : Lettres à Lucien, ce livre de Thérèse Jerphagnon paru chez l’éditeur « Le passeur » est  très émouvant à lire. Lucien Jerphagnon, pour ceux qui ne le connaîtraient pas est un philosophe, spécialiste de la pensée antique, disciple de Jankélévitch. Mais ce livre est consacré non au philosophe et professeur mais à l’homme. Il s’agit de  courts billets écrits par sa femme après son décès alors qu’elle –même est atteinte d’un cancer. Ce sont les sentiments, les idées, les souvenirs qu’elle ressent dans son deuil après plus de cinquante ans de mariage. Dans un  style magnifique elle nous décrit le chemin qu’elle s’efforce de suivre malgré le manque, malgré cette présence-absence.
Une grande réflexion sur la mort, sur la fin de vie aussi, sur la douleur, l’euthanasie  (p.30) et sur les petits riens qui ont fait sa vie avec ce grand universitaire. Par exemple cet amour des  animaux, des chats particulièrement mais aussi des chiens. Je retrouve que ce couple employait des mots que j’emploie moi-même pour mon petit chien : « chat-chien ou chien –chat » ! En exergue de ce passage sur les animaux cette phrase d’Alphonse De Lamartine que je découvre et qui me paraît l’exacte vérité : « On n’a pas deux cœurs, l’un pour l’homme, l’autre pour l’animal. On a un cœur où on n’en a pas. »
Des pages intéressantes aussi sur cette question de la mort  qui taraude l’humanité et qui est à l’origine de bien des mythes et des religions. « Dés que l’homme s’est dressé sur ses pattes arrière, l’homo erectus dit-on, je crois, il a honoré ses morts. Il n’a pas supporté la néantisation des siens ni la sienne…. » (p.55 et 56)

Au total un beau portrait de Lucien Jerphagnon mais aussi de celle qui l’a accompagné si longtemps dans la vie.