La revue Europe consacre son dernier numéro à deux études l'une sur l'écrivain algérien Mohammed Dib et l'autre est consacrée au poète Jean Senac que j'ai déjà évoqué à plusieurs reprises dans des entrées de ce blog.
Jean Senac est à bien des égards le modèle du poète maudit, celui qui naît avec une blessure dont il ne guérit jamais, qui forge sa sensibilité et qui fait de lui un être à part et toujours incompris.Il est clairement de la race des Rimbaud, Verlaine, Garcia Llorca et de tant d'autres dont toute la vie fut une blessure secrète et productive.
La blessure primordiale de Jean Senac c'est l'absence de père qui le conduira à le rechercher toute sa vie et à le rêver en "gitan beau et violeur" alors que la réalité fut plus prosaïque: un coiffeur voisin de sa mère et chargé de famille!
L'autre blessure fut son homosexualité ce qui le fait régulièrement comparer à Pier Paolo Pasolini artiste aussi et comme lui assassiné dans des conditions sordides.
Dans son texte René de Ceccaty écrit ceci qui est très juste : "Un jour viendra où le nom de Senac sera un mot de passe comme celui de Pasolini. On ne pourra pas comprendre l'Algérie sans avoir lu Senac, comme on ne peut pas comprendre l'Italie sans avoir lu Pasolini."
Ce poète blessé qui s’illusionna en croyant qu’après l'indépendance de l'Algérie à laquelle il a pris part serait un pays complètement nouveau ouvert à tous les possibles et dans lequel disparaîtrait les notions de races, de genre : rêve de poète !
Comme on le sait il fut très vite marginalisé notamment pour son homosexualité et , enfin , assassiné dans son sous-sol de la rue Elysé Reclus.
Dans "Pour une terre possible" il écrit ces vers si lucides:
Maudit, trahi, traqué
Je suis l'ordure de ce peuple
Le pédé l’étranger le pauvre
Ferment de discorde et de subversion
Chassé de tout lieu toute page
Où se trouve votre belle Nation
Je suis sur vos langues l'écharde
Et la tumeur a vos talons."
Un certain nombre intellectuels algériens le reconnaissent et ont même honte de la façon dont le pouvoir algérien l'a traité. Voici ce qu'écrit par exemple Mohammed Dib:
"Honteuse vie que la nôtre, honteux écrits, honteuses paroles, honteux intérêts quand le mort qui les regarde à présent s’appelle Jean Senac. Et toutes aussi honteuses et dérisoires ces marques de considération_ces mascarades_que nous nous permettons envers sa mémoire vivante parce qu’ayant l'avantage de n'avoir pas été assassinés encore."
Finalement c'est René Char qu'il rencontra par l'entremise d'Albert Camus qui a le mieux dit ce qu'il fallait de sa poésie dés 1954 lors de la première édition de quelques poèmes dans la collection dirigée par Camus;
"Les poèmes qui m'accompagnent ici aujourd’hui sont ceux de Jean Senac. Ils chantent à longue voix nourrie et pure le paysage de l'atelier immense du soleil, atelier qui a la nuit pour toiture et l'homme comme exploit décevant et merveilleux. Le vent ami tourne dans les doigts les pages du cahier où une écriture de jeune homme s'établit en poésie."
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